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Pianiste de formation classique, Roberta Flack fait partie, avec Donny Hathaway ou Bill Withers, d’une génération de chanteurs soul intimistes qui s’est imposée au début des années 70. Bien loin de ses premières armes gospel à l’église baptiste, la native de Caroline du Nord joue sur le même terrain pop sophistiqué que ses contemporaines blanches Carole King ou Carly Simon, avec, en bonus, une voix aux inflexions jazzy. Si le morceau titre, ballade émouvante et énorme tube (qui sera revisité par les Fugees), reste le plus connu de cet album de 1973, les autres titres sont de la même qualité, notamment une version de « Suzanne » de Leonard Cohen.

Succès retentissant de l’année 1973, Roberta Flack Killing me Softly With His Song est l’aboutissement d’une longue histoire se mêlant à une légende urbaine. La première interprète de cette chanson, la chanteuse Lori Lieberman, a toujours prétendu s’être inspirée du titre Empty Chairs de Don McLean, entendu lors d’un concert au club Troubadour de Los Angeles en 1971. 

Roberta Flack Killing me softly

Cette histoire de rupture la renvoie à sa propre expérience : « Quand je rentrais chez moi, je constatais comme un grand vide dans la maison. Il n ‘y avait plus personne pour s’asseoir à côté de moi et raconter sa journée ». Dès lors, la chanteuse débutante se met en tête d’immortaliser ses impressions dans une ballade dépouillée, prémices de la version de Roberta Flack Killing me softly. Pour ce faire, elle demande au parolier Norman Gimbel de lui concocter un texte sur mesure et de trouver un compositeur.

Comme de nombreux paroliers, Gimbel conserve dans des carnets des idées pour d’éventuelles chansons, tel le titre d’une nouvelle que son ami, le musicien argentin Lalo Schifrin (génial compositeur d’innombrables musiques de films et génériques de séries américaines dont le fameux Mission impossible), lui avait recommandé de lire : Killing Me Softly With His Blues.

Lori Lieberman et son auteur se mettent d’accord pour changer le mot blues par un autre plus universel, song. Gimbel n’a plus qu’à confier la musique à son partenaire attitré, Charles Fox, et le tour est joué.

Roberta Flack Killing me softly
Roberta Flack Killing me softly

Une fois bouclée, la chanson est placée en pôle position du premier album de Lori Lieberman… mais retombe aussitôt dans l’oubli ! Au grand désespoir de la chanteuse, son titre fétiche ne passe pas en radio et son disque atterrit dans les bacs à soldes.

C’était sans compter sur un coup de pouce du destin qui glissa le titre dans la playlist d’écoute du vol long-courrier Los Angeles – New York, emprunté un beau jour de 1972 par Roberta Flack. Quand elle entend pour la première fois Killing Me Softly With His Song, elle n’en croit pas ses oreilles et griffonne les paroles.

À peine rentrée dans sa chambre d’hôtel, elle téléphone à Quincy Jones pour s’enquérir des informations relatives aux auteurs de l’objet musical non identifié.

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Le grand arrangeur et producteur, dont le carnet d’adresses est un véritable bottin mondain de la profession, lui fournit en un clin d’œil la réponse.

Pour Roberta Flack, il n’y a pas une minute à perdre, il lui faut absolument reprendre la chanson à sa façon. Rendez-vous est donné au bureau de « Mr. Q. » dans l’immeuble A&M Records, en présence de l’auteur et du compositeur. Ce jour-là, Gimbel et Fox en profitent pour placer d’autres chansons dont And The Feeling’s Good que la chanteuse reprendra sur un futur album.

Roberta Flack Killing me softly
Roberta Flack Killing me softly

Peu après, elle file à Kingston répéter le morceau avec son groupe et l’affaire s’arrête là. 

Jusqu’en septembre 1972, date à laquelle Roberta Flack assure la première partie d’un concert de Marvin Gaye. L’audience lui demandant plusieurs rappels, elle interprète alors sous l’invite de Marvin Gaye, ce nouveau titre. Le public est immédiatement conquis et enthousiaste. Marvin la prend alors dans ses bras et lui dit : «Ne joue plus jamais cette chanson en concert avant de l’avoir enregistrée !».

Elle écoutera son conseil. Roberta Flack passe trois mois en studio à peaufiner sa version, sous la houlette du producteur Joël Dorn. Une fois le single sorti, les autres morceaux qui composent l’album seront enregistrés dans la foulée mais au Regent Sound Studios (New York).

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Pour l’enregistrement de ce cinquième album, qui inclut donc Killing Me Softly With His Song dont tout le monde pressent le succès, on met les petits plats dans les grands.

Pour le titre éponyme, outre Ron Carter, Taxe, Ellis et Deodato, un orchestre à cordes est convoqué. Il est également prévu dans un premier temps que la version enregistrée comporte un solo de guitare d’Eric Gale, comme c’est le cas en concert, mais cette option sera finalement rejetée pour préserver la continuité du morceau.

Roberta Flack Killing me softly
Roberta Flack Killing me softly

Ici comme sur ses précédents album, son âme est gospel, sa voix est soul, son esprit est jazz, et son style peut être pop. Figure forte de cette soul sophistiquée des 70’s, Roberta Flack est prise entre ses racines et les sons du moment. Un peu comme une Carole King black portée par un chant aux inflexions jazz comme sur les titres No Tears (In the End) ou I’m the Girl.

Elle est capable d’atteindre une sensation immaculée comme en témoigne sa reprise du classique Suzanne de Leonard Cohen pour clore ce quatrième opus.

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Pour une artiste aussi sincère et perfectionniste que l’est Roberta Flack, cette réussite est le fruit d’un long travail personnel qui la voit polir chacune de ses chansons avant de l’enregistrer; cette lenteur n’est pas toujours du goût d’Atlantic qui souhaiterait sortir des albums à un rythme plus soutenu, et doit se contenter de publier des 45-t au compte-goutte en attendant la fin de chaque nouveau recueil.

L’album lui vaut en 1974 les Grammy Awards du meilleur album, de la meilleure chanson et de la meilleure chanteuse de l’année. Le single de Roberta Flack Killing Me Softly with His Song reste au sommet des charts des mois durant, tous genres musicaux confondus.

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CREDITS :

Roberta Flack : arrangements, piano, voix – Ron Carter : basse – Eric Gale : guitare – Ralph MacDonald : congas, percussion, tambourin – Grady Tate : batterie – Joel Dorn : producteur – Deodato : chef d’orchestre, arrangements violon (2;8) – William Eaton : arrangements cuivres (5;7) – Don Sebesky : chef d’orchestre, Horn Arrangements, arrangements violon (6) – Alfred Ellis : arrangements cuivres, chef d’orchestre (3) – Kermit Moore : arrangements, violoncelle (4) – John Shelton : compositeur – Jack Shaw : producteur associé – Bob Liftin : ingénieur du son (2-8) – Gene Paul : ingénieur du son (1) – Barry Diament : mastering

Sources : www.robertaflack.com - www.discogs.com - www.theguardian.com - http://www.acontrecourant.fr - http://www.soulmusic.com - FUNKMYSOUL.GR

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