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Radiohead ok computer – Enregistré entre 1995 (« Lucky ») et Mars 1997 aux Canned Applause (Didcot, England) et St Catherine’s Court (Bath, England) – Parlophone/Capitol
En 1997, la sortie d’OK Computer, troisième album du groupe, ressemble à une consécration. Impossible de rester de marbre, en retrait, quand on s’abandonne à ces mélodies entêtées et entêtantes, tout en mid-tempos lascifs, à ces montages harmoniques à la pureté insolente.

L’enregistrement de radiohead OK Computer débute en juin 1996 à Oxford, au local de répétition de Radiohead, un ancien dépôt de pommes reconverti en studio rebaptisé Canned Applause. Dès les premières sessions, Radiohead est confronté à deux problèmes de taille : En premier lieu, le groupe est livré à lui-même. « La décision de nous auto-produire a fait resurgir les tensions au sein du groupe. Tout d’un coup, il y avait trop de choses à apprendre en un minimum de temps », explique le batteur Phil Selway.

Radiohead OK Computer

 En refusant toute aide extérieure – hormis celle de Nigel Godrich, dont le rôle sera de plus en plus important au fil des sessions – Radiohead se retrouve avec cinq producteurs. Les tensions internes refont surface, et le régime démocratique de Radiohead vole en éclat devant l’obstination de Thom Yorke.

« On fonctionne comme les Nations Unies. Vous pouvez obtenir le veto, mais l’Amérique, c’est moi », déclare le chanteur à la presse. Thom Yorke est aussi persuadé que le fait d’enregistrer dans le local d’Oxford n’est pas la meilleure des solutions. « Le problème, c’est que nous pouvions rentrer chez nous à chaque instant. C’est très difficile de se concentrer sur un enregistrement quand on sait qu’il faut rentrer à la maison pour faire la vaisselle ».

radiohead ok computer
Radiohead OK Computer

Ce qui apparaissait comme une oasis de liberté se transforme bientôt en cellule confinée. Le groupe se voit contraint de déménager son studio dans un autre endroit. En septembre 1996, Radiohead s’installe à Saint Catherine’s Court, un manoir du 15ème siècle appartenant à l’actrice Jane Seymour, la James Bond girl de Vivre et laisser mourir.

Situé près de Bath, l’endroit est perdu au milieu de la forêt. La bibliothèque du manoir est transformée en studio d’enregistrement, une chambre est réquisitionnée pour la batterie tandis que les prises de voix s’effectuent dans l’imposante salle de bal du rez-de-chaussée.

A peine arrivés dans les lieux, les membres du groupe s’imprègnent de l’âme séculaire de la bâtisse. « Quelqu’un avait gravé 1612 sur mon lit », se souvient le multi-instrumentiste Jonny Greenwood, « imaginez combien de bébés sont nés, combien de gens sont morts et combien ont pu faire l’amour dans cette chambre ». Thom Yorke, fasciné par l’endroit, croit apercevoir des esprits s’échappant des vieilles pierres du manoir. Inexplicablement, les magnétophones se mettent en route et se rembobinent sans raison. Et lorsque les louves en chaleur se mettent à hurler à l’unisson à la nuit tombée, le doute n’est plus permis : les lieux sont hantés.

Radiohead OK Computer

Exalté par le curieux mélange de matériel de pointe et d’esprits ancestraux, Radiohead passera les deux mois suivant à redéfinir le son du groupe, ainsi que ses techniques d’enregistrement. « Nous étions totalement ignorants. Il nous arrivait de nous retrouver à tester les capacités d’un delay numérique en tournant les boutons dans tous les sens et en hurlant « c’est génial ! ».

Nigel Godrich s’arrachait les cheveux. De vrais gamins devant leurs nouveaux jouets… », se souvient Thom Yorke. Le chanteur de Radiohead vient également d‘acquérir un MiniDisc sur lequel il échantillonne des fragments de chansons ainsi que des sonorités ambiantes. Le sampleur joue aussi un rôle important dans les nouvelles compositions de Radiohead. Avançant à découvert en terrain numérique, Radiohead ne délaisse pas pour autant l’analogique, et encore moins les instruments vintage.

Jonny Greenwood s’est converti au Mellotron, l’instrument de prédilection du prog-rock capable de simuler des ensembles orchestraux. Si le multi-instrumentiste se défend d’apprécier un genre popularisé par Genesis, Yes et King Crimson, l’ombre du rock progressif plane sur une partie des nouveaux titres enregistrés à Saint Catherine’s Court.

Saint Catherine’s Court – Radiohead OK Computer

On retrouve le Mellotron sur « Exit Music (for a Film) », un hommage aux travaux atmosphérique d’Ennio Morricone et « Airbag », un morceau hybride entre electronica et rock à guitares qui définit la nouvelle direction musicale de Radiohead. La partie de batterie de Phil Selway est constituée d’une boucle de trois secondes tirée d’une prise live enregistrée en studio. « On s’est inspirés de DJ Shadow, qui taille puis réassemble à l’infini des loops de batterie dans ses morceaux », explique le batteur.

D’autres titres comme « Paranoid Android » (trois morceaux concentrés en un seul, à la manière d’ »Happiness is a Warm Gun » des Beatles), « Let Down » et « Exit Music (for a Film) » utilisent les signatures rythmiques « risquées » à la manière du prog-rock en multipliant les 7/8 et les 5/4. Autre influence dominante : celle de Miles Davis et de son révolutionnaire Bitches Brew paru en 1969. Sur « Subterranean Homesick Alien », le Fender Rhodes domine un mix complexe auquel viennent s’ajouter les lamentations de la pédale Whammy de Jonny Greenwood. « Miles Davis ajoutait souvent des delays planants sur sa trompette, et c’est ce que Jonny a essayé de reproduire », commente Thom Yorke.

Radiohead OK Computer

Avec l’aide de Nigel Godrich, Radiohead parvient bientôt à capturer l’ambiance particulière des lieux. L’atmosphère hantée de Saint Catherine’s Court resurgit sur le claustrophobique « Climbing Up the Walls », où la ligne de basse de Colin Greenwood tisse un motif menaçant sur un canevas de guitares acoustiques saturées, de voix filtrées et de cordes dissonantes avec 16 violons jouant chacun à une quarte d’intervalle.

Enfin, « Fitter Happier » et son texte tout droit sorti des ouvrages d’épanouissement personnel (« Ne pas trop boire/Aller trois fois par semaine à la salle de gym/ Une voiture plus sûre/ Laver sa voiture le dimanche… ») illustre les nouvelles préoccupations du groupe et de son leader. « J’ai écrit cette liste un jour où tout allait mal. On aurait dit une liste de courses. Je l’ai montrée aux autres et ils ont trouvé ça très bon », se souvient Thom Yorke.

Le résultat, une voix neutre et complètement déshumanisée sur fond de samples difficilement audibles (dont un extrait des Trois jours du condor samplé sur MiniDisc) résume la démarche d’OK Computer, qui décrit un monde où la technologie prend le pas sur l’humain. Tout au long de l’album, les textes de Thom Yorke semblent inachevés, parfois composés d’embryons de phrases ou de citations obscures entrecoupées de samples, de signaux radios et de voix virtuelles. « Sur OK Computer, la stratégie était simple : il fallait viser et rater », explique Thom Yorke. Computer KO : c’est en détournant l’usage des machines que Radiohead est sorti vainqueur de l’affrontement.

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