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The Doors L A Woman – Enregistré de novembre 1970 à janvier 1971 au Doors Workshop à Los Angeles – Elektra
Ni le nom du studio ni le titre de la chanson ne sont du meilleur augure. Durant les premiers jours d’octobre 1970, une équipe de musiciens est réunie à Sunset Sound Recorders afin d’y terminer l’enregistrement d’une composition de Nick « The Greek » Gravenites, Buried Alive in the Blues…

Seule manque la chanteuse., d’ordinaire ponctuelle. Les heures passent, le producteur s’alarme, un road manager est dépêché au Landmark Motor Hotel, niché au pied des collines d’Hollywood. Sur le parking, un cabriolet Porsche peint aux couleurs du psychédélisme.


The doors L A Woman

Dans la chambre, le corps sans vie de Janis Joplin, en T-shirt et petite culotte, de l’héroïne pure dans les veines.

Pour le producteur historique des Doors comme pour leur figure de proue, l’automne ne pouvait commencer sous de pires auspices : tandis que Paul Rothchild se résout, la mort dans l’âme, à achever seul l’enregistrement de l’album posthume de Joplin, Pearl, Jim Morrison fait ses comptes: Jimi Hendrix d’abord, Janis ensuite.

L’aube des seventies ressemble de plus en plus à un crépuscule – à ses copains de bar, il affirme qu’ils sont en train de boire en compagnie du “numéro trois ».

En novembre 1970, Paul Rothchild, le « cinquième Doors », a claqué la porte : à ses yeux, les nouvelles chansons de Robby Krieger et Jim Morrison ne sont rien d’autre que de la « musique pour cocktail ».

Loin de nuire au groupe, le départ de son plus ancien collaborateur va avoir un effet Libérateur: en prélude à la première chanson de The Doors L A Woman, Morrison lance une exhortation : “Get looser (‘‘Lâchez-vous ! »).

The doors L A Woman
The doors L A Woman

Le mot d’ordre fait merveille : devant bien plus au funk tel qu’il se joue à l’Apollo qu’à une quelconque bande-son pour pince-fesses mondain, The Changeling voit Les Doors fraterniser avec James Brown. Pour Les fans, ce retour à la musique noire n’a rien d’une surprise : dès la conclusion de L’album précédent, Morrison Hotel, Jim annonçait la couleur: “Je suis un vieux bluesman/Je chante le blues depuis la nuit des temps. « 

Renonçant à utiliser Le Sunset Sound Recorders, trop onéreux, les Doors se replient dans leur salle de répétition, située au 8512  Santa Monica Boulevard, en face du motel le plus rock de Los Angeles, le Tropicana.

Ce qui a donné à ce disque cette unité et cette force fascinantes c’est le fait que nous ayons enregistré dans notre studio de répétition au Workshop. Notre maison de disques était de l’autre côté de la rue. Nous y avons pris des micros, un magnétophone et une vieille console que nous avons installés dans les bureaux, à l’étage, et nous répétions. Nous n’étions pas en studio mais véritablement chez nous. Nous nous sentions bien les uns avec les autres, nous étions bien. Nous avons pris en main la production. C’était donc une étape entièrement nouvelle pour les Doors. Il y avait peut-être aussi quelque chose dans l’air, peut-être Jim sentait-il que ce pouvait être son dernier album…

The doors L A Woman

La console de mixage occupe le premier étage, les musiciens jouent tous dans la même pièce, Morrison chante parfois depuis les toilettes. Des conditions Spartiates, qui feront dire à John Densmore que LA. Woman est « l’album garage“ des Doors.

Sauf qu’ici, le garage jouxte un marécage – le “Virginia swamp » de The WASP (Texas Radio and the Big Beat! -, d’où s’élève une musique à la fois familière et sorcière, “cool and slow with plenty of precision/With a back beat narrow and hard to master ».

Ce rythme lent et élusif, Les Doors le maîtrisent comme aucun autre groupe de Los Angeles : au folk-rock ailé des Byrds ou de Buffalo Springfield, ils ont toujours préféré l’épiderme moite des chansons de Slim Harpo, Willie Dixon et Muddy Waters.

Même pas besoin d’en rajouter: sur scène, Morrison à si souvent improvisé des couplets pornographiques (« I’ve got the poontang blues/From the top of my hip to my cowboy shoes… »! que le blues des Doors exsude une lascivité spontanée.

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Qu’ils reprennent le Crawling King Snake de John Lee Hooker ou pastichent Jimmy Reed avec Cars Hiss by My Window, venin et volupté sont au rendez-vous.

En témoignent le nouvel avatar de Jim, Mr. Mojo Risin’, ainsi qu’un titre longtemps resté inédit: sur She Smells So Nice, les Doors démarquent purement et simplement le Gof MyMojo Workin’ de Preston Foster et Muddy Waters. Puis enchaînent sur une reprise extra-hot du Rock Me Baby de B.B. King (« rock me all nite long… »).

Oublié, le perfectionnisme obsessionnel de The Soft Parade. En l’absence de Rothchild – « le gardien de prison était parti », dira Krieger -, les Doors bouclent en huit jours l’enregistrement de leur sixième album.

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Au moment où il renonce à jouer les prophètes (pas de « You cannot petition the Lord with Prayer » ici), Morrison devient enfin le grand cinéaste qu’il a toujours rêvé d’être. Un cinéaste de la nuit, celle des cités comme celle des âmes.

Travelling haletant à travers Los Angeles – la City of Night qui avait fourni en 1963 à John Reehy le titre d’un roman devenu culte – et road-movie macabre: de LA Woman à Riders on the Storm, une même obsession de la mort violente (« Motel money murder madness… »!.

Quand Le “tueur sur ta route » du moyen métrage réalisé en 1969 par Morrison; An American Pastoral ! rencontre les inquiétants claviers de Ray Manzarek, les Doors capturent le climat de paranoïa dont s’accompagne l’agonie des sixties.

Un refrain qui fait peur ne meurt jamais: en 1986, James Ellroy – lui aussi spécialiste des personnages dont le cerveau se tortille comme un crapaud » – intitulera son sixième roman Killer on the Road.

The doors L A Woman

En bonne logique, la sortie de LA Woman aurait dû relancer la carrière des Doors : cinq ans après les fulgurances de Break On Through, Light My Fire et The End, la dimension mythique de leurs chansons éclate à nouveau, Michelangelo Antonioni a jugé l’une d’entre elles – L’Amenca – indigne de figurer sur la B.O. de Zabriskie Point ?

Qu’importe, il y a davantage de vie dans un refrain de Morrison que dans tout le film de l’Italien, Le problème, c’est que Jim a toujours mis son talent dans son art plutôt que dans sa vie.

En janvier 1971, le nouveau départ annoncé avec le “See me change! » de The Changeling se fait attendre: tandis que Manzarek, Krieger et Densmore achèvent de mixer l’album, Jim promène le buisson qui lui tient lieu de barbe – quelque part entre la pilosité faciale d’Aileh Ginsberg et celle du chanteur de Canned Heat, Bob “The Bear » Hite – de bar en club de strip-tease, enchaîne les cuites, passe d’un motel à un autre, échoue en compagnie d’une serveuse dans un bungalow du Chateau Marmont.

The doors L A Woman

L’aube venue, l’ancien archange psychédélique grimpe sur le toit, s’accroche à la gouttière, s’y balance afin de regagner sa chambre d’un bond. Les kilos en trop ne pardonnant pas. L’acrobatie s’achève sur un trottoir en béton ; durant ses dernières semaines à Los Angeles, Jim traîne une patte folle.

Pendant l’enregistrement, le 8 décembre 1970, le jour de son anniversaire, il s’est offert comme cadeau de venir au Workshop avec un producteur, pour enregistrer toute la poésie qu’il avait, cinq ou six heures de poésie… « Je veux absolument l’enregistrer sur bande, juste une fois » nous disait-il. Pourquoi a-t-il eu besoin de le faire à ce moment-là, le jour de son anniversaire, six mois avant sa mort… Je ne sais pas… Lorsque Jim est parti pour Paris, vers février nous finissions de mixer l’album.

L’ambiance mi-lugubre, mi-féerique de The doors L A Woman est raccord avec la fin des 60’s, les meurtres de la Famille Manson et la boucherie du Vietnam. « Le tueur est sur ta route », prévient cette voix caverneuse en écho au célèbre “Le futur est incertain et la fin n’est jamais loin“ de Roadhouse Blues. Pour Morrison, la fin est proche. Très proche même. L’éternité aussi.

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CREDITS :

John Densmore : Batterie
Robby Krieger : guitare
Ray Manzarek : basse, orgue, piano, clavier
Jim Morrison : chant

Musiciens supplémentaires
Marc Benno : guitare rythmique (3, 4, 5, 8)
Jerry Scheff : basse

Production
Bruce Botnick : producteur
Doug Sax : mastering

Cette publication a un commentaire

  1. Majid kebbaj

    Merci ,mille et une fois merci pour cette page de blues pur et dur…li ya des choses que j’ignorais mais dont je n’en doutais à propos des artistes de la béat génération…le Vietnam malheureusement n’etait pas le premier ni le dernier à sentir l’odeur de la destruction …Pourquoi faut -il que la destruction et la souffrance soient le moteur de la creation?

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