En pleine dictature militaire, pour fuir la censure et les atteintes aux libertés individuelles, certains artistes s’exilent : Chico Buarque en Italie, Caetano Veloso et Gilberto Gil en Angleterre, Geraldo Vandré un peu partout… Les maîtres de la bossa nova les avaient précédés : Carlos Lyra au Mexique, Baden Powell en France, João Gilberto et Antônio Carlos Jobim aux Etats-Unis.
Le plus globe trotteur de tous, Vinicius de Moraes, fut démis de ses fonctions diplomatiques. Malgré sa stature de grand homme de lettre brésilien, son engagement politique et sa vie de bohème ne cadrent plus avec le nouvel ordre moral qui se met en place. Pour vivre de sa musique sans subir la censure, il entame alors une série de longues tournées à l’étranger : Portugal, Uruguay, et enfin l’Argentine, où il est invité à jouer à Buenos Aires.
Vinicius de Moraes Live in La Fusa
Du haut de ses 60 ans, il s’associe comme à son habitude à de jeunes musiciens. Après avoir composé avec Tom Jobim, Carlos Lyra, Francis Hime, Edu Lobo et Baden Powell, son disciple est cette fois le guitariste Toquinho, 24 ans.
Malgré son âge, c’est déjà un guitariste confirmé qui revient d’une tournée en Italie aux côtés de Chico Buarque et Joséphine Baker. Au chant, l’amateur de belles femmes et de belles voix fait appel à la jeune Bahianaise Maria Creuza.
Alors que Vinicius, Toquinho et Maria Creuza jouent les samedis soir au café-concert la Fusa de Buenos Aires, ils sont remarqués par le producteur argentin Alfredo Radoszynski.
Le fondateur du label Trova, derrière les tangos révolutionnaires d’Astor Piazzola décide de produire ce qui deviendra Vinicius de Moraes – Grabado en Buenos Aires con Maria Creuza y Toquinho : un des mythiques enregistrements live de MPB… mais qui n’en est pas un.
En effet, les techniques de captation du live n’étant guère satisfaisante à l’époque, il n’est pas rare d’ajouter de faux applaudissements sur les disques studios pour leur donner un aspect live. L’approche de Radoszynski est plus honnête : ne pouvant déplacer le studio sur scène… il fait venir le public au studio, permettant au disque de conserver la chaleur et la convivialité des concerts sans sacrifier la qualité de l’enregistrement.
Dans cette ambiance cosy, accompagné de « bouteilles de whisky et de jolies femmes » le Don Juan joue les maîtres de cérémonie. S’il introduit les chansons et raconte des anecdotes, il partage avec ses compatriotes le chant, produisant un beau contraste entre les voix masculines et celle de Maria Creuza.
Outre la guitare de Toquinho, les Brésiliens sont épaulés par trois Argentins de talent (contrebasse, batterie et percussions) à la hauteur de l’enjeu. Et quel enjeu: Vinicius de Moraes se fait – non le diplomate – mais l’ambassadeur de la musique brésilienne, offrant une rétrospective du meilleur des dix années écoulées.
La bossa nova bien-sûr se taille la part belle du lion avec le répertoire romantique de Vinicius de Moraes et Tom Jobim, les plus belles de toutes : les inévitables Garota da Ipanema et A felicidade mais aussi le poignant Eu sei que vou te amar.
L’autre grand compositeur de bossa nova, Carlos Lyra n’est pas oublié avec Minha namorada. Baden Powell, avec lequel Vinicius a sorti quatre ans plus tôt les célèbres Afro Sambas est représenté par deux de ses meilleures compositions (Samba em prelúdio, Berimbau / Consolação).
Mais Vinicius n’a rien d’un nostalgique ; le choix du répertoire le prouve : Le récital s’ouvre par le sympathique Copa Do Mundo, qui célèbre la victoire du Brésil lors de la coupe du monde de 1970. Surtout, à côté des standards de bossa nova en devenir, ils jouent de nombreux morceaux de la jeune garde brésilienne en pleine effervescence dans ces temps troublés.
Fidèle à son tropisme afro-bahianais, il joue Catendé, hommage à un orixa du tout jeune duo Antônio Carlos e Jocafi. Toujours du côté de Bahia, le tropicaliste Irene rend hommage à Caetano Veloso, qui l’a composé en prison peu avant son exil.
L’autre grand courant musical des années 60, la samba soul est représentée par Que Marivilha de Jorge Ben et Toquinho. C’est d’ailleurs le seul morceau composé par le jeune guitariste qui ne fait alors qu’initier sa future longue et fructueuse collaboration avec le poète-diplomate.
L’année suivante, Chico Buarque sortira Construção avec la Samba de Orly. Le morceau co-composé par Toquinho et Vinicius de Moraes aborde frontalement l’exil, tranchant avec la poésie lyrique et apolitique associée au poète.
A l’image du personnage de la samba sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, la plupart des artistes et intellectuels reviendront peu à peu au Brésil au cours des années 70. Mais ils reviendront changés, endurcis, désillusionnés, brisés pour certains. Ils laisseront derrière eux l’optimisme et l’espoir d’une époque dont la bossa nova aura constituée la bande son, et dont le disque Grabado en Buenos Aires constitue le plus beau des testaments.
Sources : https://la-musique-bresilienne.fr
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CREDITS :
Enregistré en Juillet 1970 – Buenos aires – Trova records
- Contrabasse – Mario « Mojarra » Fernandez
- Batterie – Enrique « Zurdo » Roizner
- Guitare – Toquinho
- Percussion – « Chango » Farías Gómez, Fernando Gelbard
- Producteur – Alfredo I. Radoszynski*
- Recorded By [Director de Grabación] – Mike Ribas
- Technician [Técnico de Grabación] – Gerd Baumgartner
- Voix – Maria Creuza, Vinicius De Moraes
Certainement le plus beau disque Brésilien jamais gravé en ce monde, en effet la poésie est présente jusque dans le cœur du poète.
Jamais je n’ai entendu autant de sincérité et d’amour que dans le contenu de cet album.
Même si la prise de son n’est pas de la meilleure qualité, elle est profondément sincère et réelle.
J’adore………..
Un bel article pour un disque magnifique. Merci.