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Succès et qualité sont comme le Soleil et la Lune : ils se courent après sans jamais se rencontrer, sauf, lors de rares éclipses. Tel est le cas de Getz Gilberto, un classique dont le succès commercial doit beaucoup à un concours de circonstances et à quelques malentendus.

Au printemps 1961, le gouvernement américain donne un coup de pouce au destin du label Verve et contribue même à changer la face du jazz moderne, en envoyant le guitariste Charlie Byrd en Amérique du Sud dans le cadre d’une tournée diplomatique. Le gouvernement américain voie dans l’exportation culturelle un outil politique positif. Dans ce cas, néanmoins, ce fut plutôt ce que Byrd allait importer en Amérique du Nord qui serait positif.


Getz Gilberto

À son retour, Byrd rencontre Stan Getz au Showboat Lounge de Washington et l’ayant ramené chez lui, lui fait écouter des disques de bossa-nova de Joao Gilberto et Antonio Carlos Jobim. Il ne reste plus qu’à convaincre Creed Taylor de faire un disque. Getz, qui compte parmi les plus grands sax ténors de sa génération, a déjà 35 ans, une quarantaine d’albums à son actif et un palmarès rutilant. Pourtant, son âge d’or semble s’éloigner à petits pas.

En octobre 1961, Getz et Byrd réalisent quelques enregistrements de jazz samba qui ne sortiront pas, avant de s’associer à Gene Byrd, le frère de Charlie, à la guitare et à la basse, avec Keter Betts à la basse, Buddy Deppenschmidt à la batterie et Bill Reicheach aux percussions.

Betts et Deppenschmidt, qui sont du voyage en Amérique du Sud avec Byrd, connaissent bien le son et plus important encore, les rythmes brésiliens. Ils enregistrent ensemble le 13 février 1962 au Pierce Hall, dans la Souls Unitarian Church de Washington, pour profiter de son excellente acoustique.

Getz Gilberto
Getz Gilberto

C’est ainsi que sort Jazz Samba en Avril 1962, une relecture jazz et instrumentale de morceaux de bossa nova. Cosigné avec le guitariste Charlie Byrd, Jazz Samba plafonne au sommet des charts pop en septembre et incite de nombreux jazzmen, parmi lesquels Sonny Rollins et Coleman Hawkins, à mettre eux aussi le doigt dans cet engrenage de fusion entre jazz et musiques brésiliennes, bossa-nova et samba en tête.

Getz prolonge ce succès avec « Jazz Samba Encore ! » mais sans les musiciens du premier disque, remplacés ici par Antonio Carlos Jobim au piano et à la guitare ainsi que Luiz Bonfa.

La même année, les grands noms brésiliens de la bossa nova se produisent aux États-Unis lors d’un concert devenu mythique au Carnegie Hall de New-York.

Getz Gilberto
Getz Gilberto

Le très inspiré producteur de jazz américain Creed Taylor, déjà derrière Jazz Samba décide alors de réunir les créateurs de la bossa nova, Antonio Carlos Jobim et João Gilberto avec son poulain Stan Getz, pour un album destiné au marché américain. Ce sera Getz Gilberto.

Quand il sort en 1964, le disque est un triomphe et consacre la bossa nova au rang de phénomène mondial. Rien qu’aux États-Unis, il reste 96 semaines dans les charts, dépassé seulement par A Hard Day’s Night des Beatles. Paradoxalement, le genre périclite au Brésil. Un coup d’État militaire vient de frapper le pays, balayant avec lui l’optimisme moderniste de la bossa nova désormais anachronique.

Dans ce contexte tendu, beaucoup de musiciens brésiliens, dont non des moindre, profiteront de la bossa nova craze pour faire carrière aux États-Unis ou en Europe.

Getz Gilberto
Getz Gilberto

Quoi qu’il en soit, Getz Gilberto devient bientôt aux yeux des Gringos du monde entier, le mètre étalon de la bossa nova. A bien des égards, l’album respecte les canons du genre, bien plus que les disques de Byrd et Getz. João Gilberto a encore épuré son chant par rapport à ses premiers enregistrements et la batida hypnotique de sa guitare est même mieux mise en avant.

Antonio Carlos Jobim, au piano, distille son jeu impressionniste et parcimonieux. Il signe la quasi totalité des compositions, toutes de hautes volées, dont quelques unes déjà enregistrées (Corcovado, Desafinado).

Le reste du répertoire est composé de vieilles sambas des compositeurs fétiches de João Gilberto (Dorival Caymmi et Ary Barroso). Toujours dans la continuité, on retrouve Milton Banana à la batterie, déjà présent sur les premiers albums de Gilberto.

Creed Taylor racontera que Getz et Jobim étaient deux musiciens plutôt faciles, sans ego démesurés. Pour lui, le problème venait principalement de Gilberto. « C’était l’enfer de le faire venir en studio. Il restait cloîtré dans sa chambre d’hôtel. Je crois qu’il était un peu agoraphobe, qu’il y avait trop de monde pour lui et qu’il avait peur de nous rejoindre. Il faut remercier Monica, la femme de Stan, de l’avoir quasiment physiquement sorti de sa chambre pour l’amener en studio ! Une fois sur place, il s’asseyait et jouait. »

Getz Gilberto

L’influence new-yorkaise est plus que présente. Les arrangements orchestraux disparaissent, ce qui n’est pas sans déplaire ; contrebasse et saxophone font leur entrée. Ce dernier instrument n’est pas exotique au Brésil, depuis qu’il y a été popularisé par Pixinguinha. Mais Getz en joue en jazzman. Sur quatre temps et en soliste, il improvise, loin des contrepoints discrets auxquels samba et bossa nova relèguent les instruments à vent.

Marché américain oblige, deux morceaux sont traduits en anglais : Corcovado devient Quiet Nights of Quiet Stars et Garota da Ipanema, The Girl from Ipanema. C’est la femme de João, Astrud Gilberto, alors sans expérience professionnelle qui les interprète. Son interprétation emprunte beaucoup au style dépouillé de son mari, auquel elle ajoute son brin de charme, juvénile et naturel.

Getz Gilberto

L’essai est tellement concluant, que ses morceaux sortent en single en version raccourcie avec seulement ses couplets. Ce sont ces versions anglophones teintées de jazz qui sont diffusées à la radio et qui restent jusqu’à aujourd’hui l’incarnation à l’étranger de la bossa nova.

L’album reçoit les Grammy du meilleur album jazz instrumental (sic) et du meilleur album tout court, un exploit pour un disque pas tout à fait américain. Tout ceci explique que le genre qui était une évolution de la samba, est vu à hors du Brésil comme un courant du jazz.

L’histoire donnera plutôt raison aux Gringos. La bossa nova ne sera jamais vraiment acceptée par les sambistas comme l’héritière qu’elle est pourtant, mais influencera en revanche ce qui sera connu sous le nom de MPB.

En revanche, les morceaux de bossa nova se transformeront bel et bien en standards de jazz, interprétés par les plus grands, de Franck Sinatra, à Miles Davis mais aussi par une foule de musiciens plus médiocres qui colleront au genre une image de musique d’ascenseur.

Getz Gilberto
Getz Gilberto

Cette musique finira par incarner dans l’imaginaire mondial, bien plus que la musique brésilienne, un Brésil idyllique, un monde raffiné, romantique et éternellement estival, un rêve proche mais inaccessible, à l’image de cette fille sur la plage d’Ipanema, grande, bronzée, jeune et adorable qui passe en marchant, sans nous voir.

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CREDITS :

Notes de pochette (en anglais)

Enregistré en mars 1963 au A&R Recording Studios, New York City – Verve Records

  • Stan Getz, saxophone ténor
  • João Gilberto, guitare, chant
  • Astrud Gilberto, chant
  • Antonio Carlos Jobim, piano
  • Sebastião Neto, basse
  • Milton Banana (en), batterie
  • Artwork By [Cover Painting] – Olga Albizu
  • Engineer – Phil Ramone
  • Engineer [Director Of Engineering] – Val Valentin
  • Producer – Creed Taylor

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