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Rond, chaud, souple, le clavier Rhodes est à la fois polyphonique et réellement dynamique, où l’on sent un vrai marteau qui frappe et rebondit, qui permet des nuances de toucher, d’attaque… Bref, un instrument nouveau mais instantanément familier pour un pianiste : son inventeur était tout simplement génial.

Clavier Rhodes. Harold Rhodes naquit le 28 décembre 1910, et son vif intérêt pour la musique et son enseignement l’amenèrent à fonder dans les années trente sa propre école. Il y développa la Rhodes Philosophy, une méthode d’apprentissage simplissime, qui familiarise le jeune élève avec le solfège et l’harmonie simultanément. Les pièces étudiées au piano sont choisies pour leurs progressions harmoniques comme pour leur qualités techniques et mélodiques, assurant ainsi à l’étudiant une compréhension complète de ce qu’il joue et une intelligence musicale précieuse à son développement artistique ultérieur.

Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone
Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone

Décidément entreprenant, il s’attela alors à la tâche inimaginable d’inventer un piano de voyage. Toute la difficulté reposait sur l’incontournable longueur de ses cordes. Quand on les raccourcit, le son devient plus aigu. Il fallait donc trouver un matériau de quelques centimètres seulement qui puisse reproduire le son des notes les plus graves du piano. C’est l’outil favori des accordeurs, le diapason, qui lui inspira la solution.

Rien n’empêche, se dit Rhodes, que les deux branches soient de taille inégale. Un marteau qui viendrait frapper la plus mince transmettrait la vibration à son autre partie plus dense, produisant ainsi le son voulu. Il mit ce système en pratique dès 1942, réalisant pour l’agrément des blessés de l’armée Américaine l’Army Air Corps Piano, entièrement acoustique, et dont les résonateurs étaient fabriqués à partir des tubulures de vieux B-17 !

Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone
Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone

L’avènement de l’amplification des instruments acoustiques dans les années 50 lui offrit l’occasion de finaliser son invention : la petite tige de métal pouvait vibrer devant un microphone comparable à celui des guitares électriques, et acquérir ainsi ce son si spécifique de métallophone. Il faudra pourtant attendre 1970 pour que sorte des usines Fender le premier modèle de clavier Rhodes réellement populaire et spécifiquement dédié à la scène : le Fender Rhodes Mark I.

Enregistré en 1969 sur un prototype, le disque In A Silent Way, de Miles Davis, fut sa meilleure publicité, et dès 1971 des dizaines de pianistes ou arrangeurs avaient adopté le clavier Rhodes : Chick Corea, Herbie Hancock, Joe Zawinul, Ian Hammer, Ahmad Jamal, Quincy Jones, tous succombait au charme de ce nouveau son qui rapidement incarna son époque. Son intérêt majeur tenait à ce qu’il pouvait tenir un rôle d’accompagnement comme de soliste; en outre, la dynamique de son clavier et la souplesse de son attaque lui offraient des possibilités rythmiques inaccessibles au piano.

Le fait que le Clavier Rhodes soit amplifié permettait de traiter le son en le saturant, en le passant dans une wah-wah ou un délai, bref de participer activement au joyeux bidouillage de l’époque. Peu nombreux furent ceux qui résistèrent aux charmes du clavier Rhodes, et encore aujourd’hui, un pianiste aussi traditionnel que Kenny Barron ne rechigne pas à l’utiliser en enregistrement.

Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone
Clavier Rhodes, à mi-chemin entre piano et vibraphone

Dans la longue course au perfectionnement de ses modèles, la marque Rhodes connut de multiples propriétaires. En 1959, la Rhodes Piano Corporation fut vendue à Leo Fender, l’illustre fabriquant de guitares, ce qui explique la présence de son nom sur les Mark I. Racheté par CBS en 1965, Harold Rhodes en profita d’ailleurs pour faire retirer sur l’instrument le nom de Fender, dont il déniait la paternité, accouchant ainsi de son modèle le plus abouti , le Rhodes Mark II.

Passant de mains en mains, la compagnie finit par aboutir chez le constructeur japonais Roland, qui décida de digitaliser la sonorité et d’abandonner la mécanique du clavier Rhodes.
 Ecoeuré par la dérive de son invention, Harold entreprit donc de racheter sa propre marque, ce qu’il finit par accomplir en 1997, à l’âge vénérable de 86 ans. Il se remit au travail, et des rumeurs courent aujourd’hui sur la sortie probable d’un nouveau modèle. Hélas, Rhodes nous a quitté le 17 décembre de l’année dernière. Il laisse derrière lui une vie bien remplie, mais surtout un instrument d’une conception simple et géniale, quasiment incassable, et d’une richesse de son inégalée.

© laurentdewilde.com

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