George Benson, ou l’histoire d’un gamin de Pittsburgh devenu un immense guitariste de jazz avant de se réinventer chanteur pop triomphant et de gagner sa place au panthéon des musiques noires américaines.
Né à Pittsburgh le 22 mars 1943, George Benson n’avait guère perdu de temps pour brûler les planches. Haut comme trois pommes, il avait remporté un crochet avec sa reprise d’I Need You So, un morceau R&B d’Ivory Joe Hunter. Sa mère était chanteuse, son père tromboniste, pianiste et batteur. Parti combattre en France où il vécut quelque temps, il ne connut son fils que quatre ans après sa naissance, puis, séparé de sa femme, partit vivre à New York.
Le jeune George Benson grandit dans l’immeuble que son grand-père avait acquis grâce à certaines affaires au cours de la Prohibition, mais à la mort de ce dernier, la famille fut relogée dans les quartiers des domestiques, sans chauffage ni électricité.
Lorsqu’il eut sept ans, à peu près au moment où la famille Benson put réintégrer l’hôtel familial, sa mère se remaria avec un certain Thomas Collier. Lequel emplit bientôt la maison de ses premiers appareils électriques : une guitare et son amplificateur.
En rentrant de son travail de plombier, charpentier et électricien, Collier aimait écouter les enregistrements de Charlie Christian avec Benny Goodman, particulièrement Solo Flight, que George Benson citera toujours comme son solo préféré. Il lui récupéra un ukulelé à l’abandon avec lequel le chanteur en herbe s’accompagna au coin des rues contre quelques pièces, puis lui acheta une guitare acoustique à quinze dollars.
À dix ans, le talent du gamin était tellement palpable qu’il lui fut proposé d’enregistrer un 45-tours pour le label X Records (filiale rhythm and blues de RCA), She Makes Me Mad / It Should Have Been Me, ce dernier composé par le saxophoniste King Curtis, qui jouait dessus. Mais l’échec du single et les sollicitations incessantes du monde de la musique persuadèrent sa mère et Collier de l’en éloigner. Sa guitare fut mise au clou.
Des années plus tard, George Benson reconnaîtrait combien cette décision lui permit d’éviter une enfance sacrifiée, celle d’un Michael Jackson. Mais pour l’heure, ce vide dans sa vie fut comblé par ces fréquentations que l’on dit mauvaises et l’adolescent écopa de six semaines de maison de redressement à la suite d’une altercation.
La musique refit son entrée dans sa vie quand il eut quatorze ans et rejoignit le quintette vocal doo-wop de son cousin, The Altairs, avec lesquels il grava le single If You Love Me/ Groovy Time, en 1959.
En plus du chant, il jouait le rôle d’accompagnateur à la guitare. Son beau-père lui fabriqua rapidement une électrique à partir du bois d’une commode en chêne… À cette époque, l’adolescent gagnait une cinquantaine de dollars par semaine grâce à des gigs réguliers dans les clubs de Pittsburgh, avec des groupes de R&B comme les Four Counts ou des trios orgue-batterie-guitare.
À dix-sept ans, il se décida à former son propre groupe, The George Benson All Stars, avec quatre gamins de son âge. C’est au cours de cette période qu’il découvrit, par l’entremise d’un ami guitariste, les enregistrements de Kenny Burrell, Grant Green, Hank Garland ou Wes Montgomery, de même que, via son père biologique, ceux de Charlie Parker.
À la fin de mon adolescence, j’ai découvert Charlie Parker et je me suis mis en tête d’accomplir avec ma guitare ce qu’il faisait avec son alto. C’était une chimère bien sûr, personne ne peut y arriver… Mais c’était un but Mon père biologique jouait du piano, du trombone et de la batterie. C’était un dingue de Charlie Parker. Mon beau- père était guitariste et complètement mordu de Charlie Christian. C’est lui qui m’a appris à jouer du ukulélé et de la guitare. (George Benson)
Mon père biologique est venu en France pendant la guerre, après laquelle il a épousé une Française – il ne savait pas que j’étais né. Il ne m’a vu pour la première fois que quand j’avais quatre ans. J’avais un demi-frère né à Marseille. Il est mort cette année. Je ne l’ai connu qu’à l’âge de trente-cinq ans. Il était resté en France car les Etats-Unis n’autorisaient pas les soldats américains à ramener leurs épouses étrangères après la guerre. Au début des années 1980, je me suis produit au Palais des Sports et [mon demi- frère] est venu me voir. C’était incroyable de le rencontrer. J’étais stupéfait par sa ressemblance avec mon père. Il m’a montré une lettre de ce dernier sur laquelle était écrit : « Je crois que le moment est venu de te dire que tu as un frère et c’est l’un des plus grands guitaristes de jazz au monde. » Or mon père ne m’avait jamais rien dit de tel. Il me critiquait toujours : « Tu dois travailler, ton jeu n’est pas bon, écoute Charlie Parker ! » J’ai donc emmené mon demi-frère aux répétitions au Palais des Sports, puis au concert, et il n’en croyait pas ses yeux. Mon père avait été tué deux ou trois ans auparavant et mon demi- frère ne le savait pas. J’ai dû lui dire. Il n’avait jamais revu mon père. (George Benson)
L’omniprésence du jeune homme sur la scène locale força les portes du destin. Début 1963, l’organiste Jack McDuff, de passage à Pittsburgh, cherchait un guitariste pour une tournée de petites villes du Midwest. Les premières dates furent laborieuses mais McDuff se résolut à le conserver dans son quartette et l’emmena même en studio à New York pour graver l’album “Brother Jack McDuff Live !”, dont le titre Rock Candy connut un certain succès.
Il m’a viré après le premier concert. Il m’aimait pour jouer le blues et appréciait mes accompagnements, qui le mettaient en valeur, mais il avait compris que je ne connaissais rien à l’harmonie ni à la théorie. « Tu n’es pas le guitariste que je cherchais, mais j’ai un ami pour qui tu seras parfait », m’a-t-il dit. Mais il m’a gardé pour finir la tournée et quand on est arrivé à New York, je connaissais tout son répertoire et son manager lui a dit : « Tu veux virer le gamin ? Emmène-le plutôt en studio ! ». C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à étudier la guitare pour de bon… Et je continue, je joue pratiquement tous les jours. (George Benson)
A New York, George Benson apprit très vite. Intimidé à son arrivée face aux pointures qui arpentaient clubs et studios, il gagna en assurance à mesure que son jeu s’affirmait, comme en témoigne cette anecdote le mettant aux prises avec Grant Green, l’une de ses grandes influences. Informé de sa réputation grandissante, Green avait fixé rendez vous au jeune Benson sur scène, un jour de 1965, au club Count Basie’s.
« Sur un tempo medium, Green allait me tailler en pièces. J’ai donc demandé à mon groupe de jouer des tempos hyper rapides toute la nuit, se souvenait Benson dans la biographie de Grant Green. Jouer vite ne l’avait jamais intéressé, il ne pouvait pas me suivre… A sa sortie de scène, mon manager, Jimmy Boyd, qui était aussi le sien, s’est penché vers lui : “Je t’avais bien dit de ne pas te frotter au gamin”. » (George Benson)
Son engagement avec McDuff fut fructueux, avec treize albums (!) entre 1963 et 1965 dans un registre soul-jazz, plus le sien, “The New Boss Guitar Of George Benson”, avec notamment le saxophoniste Red Holloway.
Benson prit ensuite le large pour mettre sur pied son propre quartette, avec pour piliers les excellents Lonnie Smith (orgue) et Ronnie Cuber (saxophone baryton). C’est cette formation que le producteur du label Columbia, John Hammond, sur les conseils du comique Timmie Rodgers, vint écouter fin 1965 dans un club de Harlem, le Palm Café, situé à côté de l’Apollo Theatre.
Prévenu de sa venue, George Benson se lança dès qu’il l’eut repéré dans une version du funky The Cooker, une de ses compositions qui fit venir à lui à la fin du set un Hammond extatique, muni d’un contrat griffonné sur une serviette en papier. La carrière de George Benson était lancée, qui plus est par l’homme qui avait présenté Charlie Christian à Benny Goodman…
George Benson enregistra deux albums pour Columbia, particulièrement notables quant à l’évolution de la guitare jazz. Inflexions blues et acrobaties bop, vélocité inédite et clarté d’élocution remarquable, Benson s’y montrait le roi en devenir de la lignée inaugurée par Charlie Christian. Ses rythmiques et ses solos bénéficiaient en outre d’un sens du swing exceptionnel.
Le succès des disques fut mitigé et George Benson passa ensuite chez Verve, délaissant la formule avec orgue pour les riches orchestrations de “Giblet Gravy”, avec notamment Billy Cobham, Ron Carter et Herbie Hancock, début février 1968. Il venait de jouer avec ces deux derniers deux semaines plus tôt pour une première session avec Miles Davis ; deux autres suivirent en février et en mars : à vingt-quatre ans, George Benson participait après Joe Beck et Bucky Pizzarelli aux premiers enregistrements de Miles avec guitare (Paraphernalia publié en 1968 sur “Miles in The Sky” ; Side Car II et Sanctuary paraissant en 79 sur “Circle in The Round”), même si son propos y restait quelque peu timoré.
Miles m’a appelé pour me proposer de jouer sur son disque. Et je crois qu’il était prêt à me demander de rejoindre son groupe. Mais mon manager m’en a dissuadé, à ma grande stupéfaction car c’était le meilleur gig au monde : « Tu ne peux pas faire ça car il se dit que tu vas devenir plus gros que Miles », m’a expliqué mon manager. « Plus gros que Miles, quelle est cette idiotie, qui a dit ça ? », ai-je répondu. Mais nos carrières ont suivi leur cours et Miles a toujours aimé ma musique. J’aurais aimé avoir rejoint son groupe, même pour une courte période. J’adorais son ouverture d’esprit et sa façon de mettre en place un environnement où chacun pouvait être créatif, du moment que ça venait du cœur. (George Benson)
Après un autre album pour Verve, George Benson signa sur le label A&M grâce à l’intercession de Wes Montgomery. Benson entra en studio deux mois après la mort de Wes pour le label de ce dernier, dans un passage de témoin symbolique. Avec la production de Creed Taylor, les arrangements sophistiqués de Don Sebesky et la présence de musiciens comme Herbie Hancock et Ron Carter, ses trois albums pour A&M préfiguraient surtout l’étape suivante : ses enregistrements pour le label CTI fondé par Creed Taylor après son départ d’A&M, qui allaient marquer l’apogée du guitariste.
Propulsé par la crème des musiciens, nimbé d’arrangements de cordes classieux, son jeu y atteint des sommets, gagnant en complexité tout en restant éminemment chantant. Ses activités de sideman pour le label donnèrent également lieu à d’impressionnants accomplissements.
Si Warner eut fort à faire pour arracher Benson à Creed Taylor, elle n’eut à regretter aucun des 400 000 dollars déboursés pour le signer en août 1975.
Exception faite de This Masquerade, le jazz instrumental funky et léché de “Breezin’” ne constituait pas une rupture si radicale avec l’esthétique des disques CTI, mais les albums suivants (“In Flight”, “Weekend in L.A.” et “Living Inside Your Love”) mirent l’accent sur la voix de Benson et les hits affluèrent (Nature Boy, On Broadway, et le single The Greatest Love Of All, extrait de la B.O. du film sur Muhammad Ali “The Greatest”).
George Benson était désormais une star. Il acquit une demeure de vingt-six pièces, dont un studio d’enregistrement, dans le New Jersey, une autre à Hawaï et… se convertit aux Témoins de Jehova.
En 1980, alors que la session du nouvel album touchait à sa fin, le producteur Quincy Jones, fort de son récent succès sur le “Off The Wall” de Michael Jackson, rappela Benson en studio pour lui proposer un dernier titre, écrit par le pianiste anglais Rod Temperton. Cocotte de guitare désarmante d’efficacité, mélodie aussi imparable que le groove disco-funk qui la portait, Give Me The Night affola les clubs et les hit-parades de la planète entière.
En moins de cinq ans, le chanteur pop avait éclipsé le brillant guitariste de jazz que George Benson avait été au cours de la décennie précédente. Certains critiques n’épargnèrent guère semblable évolution, qui pointaient la raréfaction de son jeu de guitare et la responsabilité de Benson dans l’émergence d’un smooth jazz sucré et désincarné.
Ses albums suivants ne furent certainement pas exempts de reproches : Benson y suivait les modes et cherchait par trop à reproduire la formule du succès. Mais l’homme possède une identité capable d’absorber bien des métamorphoses. Il revint au jazz via un bel album acoustique avec le McCoy Tyner Trio en 1989 (“Tenderly”) et, l’année suivante, enregistra “Big Boss Band” avec l’orchestre de Count Basie.
Les années 1990 et 2000 le virent continuer d’enregistrer à un rythme régulier et toujours paré pour l’aventure, comme son association magique avec les DJ de Masters At Work, en 1997, sur leur tube You Can Do It (Baby).
Source : www.rollingstone.fr – www.georgebenson.com – www.wikipedia.org
Beaucoup apprécié ce moment passé avec George.
Fin des 70’s j’ai récupéré chez quelqu’un qui n’en voulait pas Week-end in L.A. Depuis George Benson ne m’a jamais quitté . C’est souvent mon rayon de soleil, mon week-end in Costa del sol …
Je regrette seulement que ses concerts nous le montrent de plus en plus chantant et moins guitarant, c’est probablement l’age qui use sa virtuosité. Mais il a déja tant donné …