En 1976, Mort Garson, pionnier de la musique électronique à qui la chaîne CBS a commandé une bande-son pour la retransmission de la mission Apollo 11, sort Mother Earth’s Plantasia, sous-titré « warm earth music for plants… and the people who love them ». Trente minutes d’instrumentaux mélancoliques au Moog en hommage au bégonia ou à la violette africaine, pas si éloignées des flâneries électroniques d’un François de Roubaix époque Chapi Chapo.
Milieu des 70’s, les États-Unis, la Californie en particulier, sont touchés par une vague baba new age sans précédent. Il est alors de bon ton de lier cosmologie et bien-être, alimentation et chakras, rollers et développement personnel. C’est dans cette époque pré-raelienne qu’est édité en 1973 « La vie secrète des plantes », un ouvrage de Peter Tompkins et Christopher Bird où les auteurs avancent sans rire que les plantes communiquent par télépathie et qu’elles sont sensibles à la musique.
Mort Garson Plantasia
Il n’en faut pas plus aux gérants de la boutique Mother Eart Plant, située sur Melrose Place à Los Angeles, pour imaginer un concept album dont la principale vocation consisterait à divertir ficus et autres fougères en les aidant à pousser. Les propriétaires Joel et Lynn Rapp ont même prévu de l’offrir à tous les clients.
Et même si le disque dont il est question sera également offert aux acheteurs de matelas de marque Simmons, on comprend mieux pourquoi « Plantasia » a mis du temps à prendre la lumière.
Son artisan, Mort Garson, tient une place à part dans l’histoire de la musique électronique. Fils d’immigrés russes, il grandit à Saint John au Canada. Initié au piano à 11 ans, il travaille l’instrument avec assiduité et intègre la prestigieuse Juilliard School of Music.
À la fin des années 50, Garson coécrit plusieurs hits pour Brenda Lee, Cliff Richard, Ruby & the Romantics. Les royalties lui permettent de s’installer à Los Angeles.
Devenu un compositeur, arrangeur, orchestrateur reconnu, Garson passe le milieu des années 60 à travailler avec des stars de l’époque, dont Doris Day et Glen Campbell.
En 1967, il fait une rencontre décisive. Au congrès de l’Audio Engineering Society, un certain Robert Moog lui présente sa nouvelle invention : le synthétiseur modulaire Moog. Il en fait installer un dans son studio et dès lors ne jure que par lui. Pionnier dans l’utilisation du Moog, Garson est sollicité pour créer des jingles publicitaires, des bandes sonores pour la télévision et le cinéma.
Dès 1967, celui qui aime prendre des pseudos improbables (Z, Lucifer, Ataraxia) et cultive un certain penchant pour l’occulte publie « The Zodiac », un disque cryptique chanté-parlé à placer quelque part aux côtés des disques de David Axelrod avec les Electric Prunes, et qui aurait – il paraît – influencé le Night in white satin des Moody Blues.
Comme avec la télépathie des plantes, difficile à vérifier. Une chose est sûre : c’est sa rencontre avec Bob Moog qui a fait pousser des ailes à sa musique, véritable antichambre de ce qu’on appellera plus tard la « space pop ».
Les ingénieurs de la NASA ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, puisque c’est la musique de Mort Garson qui sera utilisée par CBS pour illustrer la mission Apollo 11 de 1969.
Sept ans plus tard sort enfin « Plantasia ». Et c’est peu dire que le disque aura du mal à faire des boutures. En dix pistes planant sur un mode THC THX (de la weed cinématographique), le disque destiné aux plantes sera le dernier du grand compositeur, sans qu’on sache vraiment pourquoi.
Cet album se distingue des productions précédentes de Garson. La ou Black Mass, un de ses précédents opus, est technique et sombre, Plantasia est lumineux, joyeux, chaleureux… Mort nous offre une symphonie moderne aux ambiances atmosphériques qui se confondent avec des rythmes moins expérimentaux, et c’est là l’une des forces de Garson.
Comme le souligne Sacred Bones records, au début de la musique électronique il y a deux extrême : les « pionniers intrépides » et les « chasseurs de tendance ». Quelques artistes sont les deux en même temps, mais Mort Garson a embrassé les deux extrêmes, les mélangeant pour donner quelque chose de neuf, d’unique.
Préambule à l’œuvre de Haim Saban et Shuki Lévy pour la B.O. des Mystérieuses cités d’or, le disque aux 10 titres incroyables (Symphony for a spider plant, You don’t have to walk a bégonia, etc) est non seulement hypnotisant pour ses sonorités, mais aussi pour ses ambiances méditatives.
L’album fera des petits, notamment « Journey Through the Secret Life of Plants » de Stevie Wonder ou le « De la Musique et des Secrets pour Enchanter vos Plantes » de Roger Roger et Nino Nardini ; mais aucun ne réussira à retrouver les folles racines du disque de Mort Garson.
Réédité en 2019 par le label new-yorkais Sacred Bones, après s’être très chèrement revendu entre collectionneurs ces dernières années, Mother Earth’s Plantasia est une œuvre majeure de cette époque utopique où l’on pouvait cramer un an de sa vie pour écrire des morceaux destinés aux herbacés.
Source : https://gonzai.com – https://apocalypsemag.fr – www.dazeddigital.com
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CREDITS :
Enregistré en 1976 au Patchcord Productions – Hollywood, California – Sacred Bones records
- Art Direction – Sam Nicholson (3)
- Engineer [Electronic Engineering] – Eugene L. Hamblin III*
- Illustration – Marvin Rubin
- Score, Electronics – Mort Garson
- Sleeve Notes [Booklet] – Lynn & Joel Rapp