L’origine des deux têtes pensantes de Rage Against The Machine représente l’essence même de la formation. Zack De La Rocha est un chicano pur-jus baigné durant son adolescence par le punk et les balbutiements du hip-hop. Tom Morello, d’origine kenyane par son père, a été bercé par les Clash et est titulaire d’une thèse obtenue dans la prestigieuse université d’Harvard, sur l’apartheid en Afrique du Sud. Tout est là. Un soir de 1991 à Los Angeles, le guitariste tombe sur De La Rocha en train de rapper dans un club. La machine Rage est lancée.
Rage Against The Machine
Au moment de leur rencontre, Zack appartient à la scène hardcore Californienne. Morello, lui, a formé dans l’illinois Electric Sheep en compagnie d’Adam Jones, futur guitariste de Tool. Persuadé de pouvoir y mener des projets plus sérieux, Morello se rend à Los Angeles où il assiste à une prestation de Zack de la Rocha.
Le guitariste est séduit par le discours du chanteur « Le déclic est venu quand j’ai parcouru le livre de poèmes et d’écrits de Zack de la Rocha. C’était comme si j’avais trouvé un frère idéologique. Ce n’était pas juste des paragraphes à propos de Mao et du Paraguay, c’était plus que cela, c’était de la bonne poésie ».
Ils fondent rapidement Rage Against The Machine, nom tiré d’un titre du 1er groupe de Zack de la Rocha (Inside out), complété par le batteur Brad Wilk et le bassiste Tim Commerford, ami d’enfance du chanteur.
Le groupe Rage Against The Machine, désigné aussi par Rage ou RATM, donne un premier concert dans le garage d’un ami de Tim Commerford, devant quelques happy few. S’en suit l’enregistrement d’une cassette (simple démo de 12 titres publiée à compte d’auteur qu’ils écoulent à 500 copies) ainsi qu’une prestation sur l’une des scènes du festival itinérant Lollapalooza fondé par Perry Farrell, chanteur de Jane’s Addiction.
Très à l’affût, les majors ne tardent pas à faire grimper les enchères. Epic fait une offre non refusable. Les musiciens rétorquent par la demande d’une liberté artistique totale. C’est ce que Morello appelle « la théorie du 100% » chère à RATM. Epic signe, aveuglément : en fait, le groupe n’a donné que deux concerts. Du côté de Rage, on s’étonne de cette foi aveugle du label.
Aujourd’hui encore, Morello rappelle : « Ce disque était totalement radical, politiquement et musicalement. Il semblait improbable qu’une radio, même rock, en diffuse jamais le moindre morceau. Et il y avait tellement de rap dans les voix qu’on pensait être rejetés par le clan metal ».
Rage Against The Machine entre en studio sans la moindre expérience. Epic détache donc le producteur Garth Richardson (Red Hot chili peppers) et l’ingé son Andy Wallace (Nirvana). Les premiers jours ne vont pas sans frictions. Richardson trouve que Morello joue trop vite et ralentit digitalement les parties de guitare.
Le quatuor finit par imposer sa vision et le producteur obtempère. Dès lors, l’enregistrement vire à la farce et l’homme d’Epic subira moult plaisanteries abominables, Tim C, le bassiste, arrosant régulièrement le fauteuil du producteur à l’essence à briquet avant d’y jeter négligemment une allumette.
Durant les premières séances, Rage Against The Machine se trouve trop rigide, coincé par l’ampleur de l’enjeu. L’énergie ne parle pas librement… Du coup, un soir le groupe organise une grande fête au studio Sound City. L’idée est idiote mais le studio légendaire. C’est là que Nirvana a enregistré le sublime « Nevermind ». La bière coule, les joints tournent, deux des musiciens se rasent le crâne, les magnétos enregistrent.
C’est au cours de ce petit concert improvisé que Richardson récupérera les bases des cinq meilleurs morceaux de l’album « Rage Against The Machine ». Fiers de leur message politique les Rage entassent les riffs pliés à coups de vérin, malmenant des rythmiques grondantes.
Sur ce premier album Rage Against The Machine, l’ennemi est facilement identifiable, bien qu’il soit pluriel. Ce sont les médias, le gouvernement, les industriels. La victime, le citoyen américain neurasthénique, qui se laisse tranquillement dévorer par la « machine ». Qui gobe tous les mensonges énoncés à travers la presse ou la télévision. Qui se laisse conditionner par la publicité. Et qui obéit au doigt et à l’œil, lobotomisé par le discours ambiant. C’est l’un des principaux créneaux développé par le groupe au cours des années.
La manipulation, la désinformation sont le fruit de l’accord tacite fait entre les médias, le gouvernement et les puissances financières et capitalistes. La définition de l’ennemi est encore plus explicite dans Know Your Enemy.
Paradoxalement, c’est la chanson la plus simplement écrite « Killing In The Name » qui est le gros succès de Rage Against The Machine. D’ailleurs, l’idée principale est résumée à elle seule en une ligne : « Some of those that work forces are the same that burn crosses ». Ici, ceux qui brûlent les croix, ce sont bien évidemment les membres du Ku Klux Klan dont certains feraient aussi partie des administrations ou du gouvernement.
L’autre phrase qui est aussi célèbre que la chanson « Fuck you, I won’t do what you tell me » résume quant à elle la quintessence même de l’idéologie et la force de Rage Against The Machine.
A l’origine, le titre était un instrumental. Il y a d’ailleurs une vidéo à Cal State Northridge – notre première performance en public – où nous ouvrons le concert avec cette version instrumentale de « Killing in the Name » et Timmy [Commerford], je pense, est venu ajouter ce très cool riff de basse. Le beat de Brad Wilk est là depuis le début, et c’est ensuite Zack qui est venu ajouter les paroles presque « rappées », « and now you do what they told ya ». Je me souviens que notre conseiller, Michael Goldstone, un vrai génie et qui était un peu notre cinquième Beatles, ne voulait pas qu’on les laisse… il voulait en faire un hit. Mais on a tenu bon et l’histoire nous a donné raison. (Tom Morello)
Le « no samples, no keyboards or synthesizers used in the making of this recordings », présent dans le livret de l’album Rage Against The Machine annonce la couleur à deux niveaux : d’un coté c’est l’énergie brute du rock comme on le faisait dans les seventies (Mc5, the Stooges, the Clash…) qui servira à faire passer le message.
De l’autre, c’est bien la guitare de Tom Morello qui est seule responsable de tout ce que l’on va entendre (notamment dans les solos, parfois plus proches de la platine d’un DJ que d’une six-cordes traditionnelle).
Quel autre groupe s’est fait interdire toutes ses chansons de tous ses albums de diffusion radio au lendemain du 11 septembre 2001 ? Qu’on y pense en écoutant ce disque. Note de l’auteur : penser n’est pas encore illégal.
Source : https://pitchfork.com – www.albumrock.net – www.radiox.co.uk – www.rtbf.be
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CREDITS :
Enregistré en avril-mai 1992 aux studios Sound City, Scream Studios, Industrial Recording (Hollywood-USA) – EPIC
Rage Against the Machine : co-producteur, direction artistique – Zack de la Rocha : voix – Tim Commerford : basse, choeurs – Brad Wilk : Batterie, percussion – Tom Morello : guitare – Maynard James Keenan : voix (« Know Your Enemy ») – Stephen Perkins : percussion (« Know Your Enemy ») – Garth ‘GGGarth’ Richardson : producteur, ingénieur son – Andy Wallace : mixing – Bob Ludwig : mastering – Stan Katayama : ingénieur son – Craig Doubet : assistant ingénieur son – Jeff Sheehan : assistant ingénieur son – Steve Sisco : assistant mixing – Nicky Lindeman : direction artistique