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En 1971, un ovni apparait sur les écrans noirs américains, Sweet Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. Son auteur, Melvin Van Peebles, réussit le tour de force de réaliser le premier film indépendant noir, sans compromis, dans une industrie contrôlée à 100% par des blancs. Faute de moyens, Melvin Van Peebles endosse les casquettes d’auteur, réalisateur, acteur principal, producteur, distributeur et, cerise sur le gâteau, il écrit et compose ce qui sera la première B.O. de film au coté d’Earth Wind & Fire, pour promouvoir son œuvre.

De retour à San Francisco qu’il a quitté plus d’une décennie auparavant, Melvin se concentre sur la réalisation. Il tourne un épisode du Cosby Show, puis signe avec la Columbia un contrat pour trois films. Il n’en fera qu’un : Watermelon Man, une comédie satyrique où un blanc raciste se réveille noir. Cependant, comme Watermelon Man est un succès au box-office, la Columbia ne rompt pas son contrat, elle souhaite même le voir réaliser un biopic sur Malcolm X. Melvin refuse et se lance dans une aventure cinématographie qui va l’éloigner définitivement des grands studios hollywoodiens : Sweet Sweetback’s Baadasssss Song.

Bande originale de Sweet Sweetback’s Baadasssss Song

Le projet de Van Peebles est de réaliser un film coup de poing, mais aussi un manifeste pour un cinéma noir décomplexé jusque dans son esthétique. Aussi la réalisation s’affirme-t-elle originale, brute, « sauvage », semi-expérimentale (faux raccords, solarisation, dédoublement de l’image) et très rythmée (la musique soul-funk est omniprésente).

Autant de paramètres formels mis au service d’un discours radical noir et antibourgeois. Ajoutons que le héros, qui ne prononce pas plus de dix mots durant tout le film, ne fait que « courir, se battre et baiser », les trois conduites de base dans le ghetto selon Van Peebles. Baiser surtout, comme pour affirmer sa virilité retrouvée et l’exhiber au reste du monde.

Je voulais faire un film victorieux. Un film où les Noirs peuvent sortir du cinoche la tête haute. Le film ne pouvait pas se contenter d’être un simple discours didactique projeté […] dans un cinéma vide, à l’exception de dix ou vingt frères déjà convaincus qui me taperont sur l’épaule en me disant que le film dit vraiment la vérité. […] Il doit être capable d’exister comme un produit commercial viable sinon il n’aura aucun pouvoir.

Melvin Van Peebles

Ainsi naît Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. Melvin Van Peebles, maître es système D, fait tout de A à Z. Il écrit même la partition lui-même (bien qu’il ne sache ni lire ni écrire la musique). Il fait appel à un groupe alors peu connu, Earth, Wind & Fire, pour interpréter ce qu’il a composé.

La bande-son elle-même est comme un rêve éveillé, composé de funk infusé de free-jazz, de gospel et de passages de dialogues du film.

Sweet Sweetback’s Baadasssss Song
Melvin Van Peebles – Sweet Sweetback’s Baadasssss Song

Lorsque j’ai tourné le film, je n’avais pas encore de musique. Je cherchais un groupe. Ma secrétaire était la copine de quelqu’un qui jouait dans un groupe et elle m’a dit: « Mon jules est dans un groupe là, tu veux pas écouter ? » Et ça, c’était Maurice White. C’est comme ça que je suis tombé sur Earth, Wind & Fire ! C’était leur premier album ! Ils étaient en train de crever de faim dans une petite piaule sur Hollywood Boulevard, tous dans la même chambre quoi, tu vois… J’ai écrit la musique, et comme je ne savais pas vraiment lire ou écrire la musique, je leur ai fredonné, j’ai donné quelques instructions, les tempos.

Melvin Van Peebles

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Écoutée seule, la bande originale, contrairement à Superfly ou Shaft, n’est pas une réussite musicale significative. Il s’agit d’une musique funk-soul, instrumentale et vocale, saupoudrée de quelques dialogues du film.

« Hoppin’ John » est un morceau manifestement inspiré de James Brown, bien qu’il soit chanté avec beaucoup moins d’ardeur qu’un Brown. « Come On Feet Do Your Thing » est le titre se rapprochant le plus des incursions de Van Peebles avant le rap sur A&M Records. Pas surprenant, il l’a déjà enregistré sur son album Ain’t Supposed to Die a Natural Death sur A&M Records.

Sweet Sweetback’s Baadasssss Song
Melvin Van Peebles – Sweet Sweetback’s Baadasssss Song

Pour moi, le son est une chose immense, primordiale, et à l’époque, le cinéma s’en servait très mal. C’est pour cette raison que le film s’appelle Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. J’ai utilisé la musique et les paroles comme si je filmais un opéra. C’est même écrit sur la pochette de la BO : Sweetback : an opera.

Melvin Van Peebles

Avec ses chœurs gospelisants à souhait, ses claviers électriques dignes du meilleur Sun Ra et son saxo free par endroits, l’ensemble défriche une voie un brin crado que The Last Poets et Art Ensemble Of Chicago sauront entendre. Plus brutal et animal que Superfly, Shaft ou Coffy, les autres monuments du genre, Sweet sweetback’s… est aussi celui qui épouse au plus près la chair (torride) de son sujet.

A Hollywood, quand on produisait une comédie musicale à gros budget, la BO sortait deux mois plus tard. J’ai eu l’idée de sortir la BO avant le film. Les journaux tenus par les blancs n’ont pas voulu en parler, mais, les DJs noirs en ont fait un tube sur les radios. Quelques mois plus tard, la MGM est allée voir Stax, qui avait sorti la BO de Sweetback, pour enregistrer la bande-son de leur prochain film, Shaft. Isaac Hayes avait déjà un nom, mais il est devenu une vraie star avec la BO.

Melvin Van Peebles
Sweet Sweetback’s Baadasssss Song
Earth, Wind & Fire – Sweet Sweetback’s Baadasssss Song

Le film est un succès sur tout les plans : financier d’abord (il rapporte cent fois son budget de production), symbolique (il impose le premier héros afro-américain qui s’en sort malgré ses déboires contre la police, ainsi qu’une équipe technique mixte), artistique (par une réalisation inédite très inspirée, façon « nouvelle vague ») et d’estime (il rencontre un succès auprès de la communauté et est plébiscité par Huey Newton et le Black Panther Party).

À sa sortie en 71, « Sweet Sweetback’s Baadassss Song » est classé X par un jury 100% blanc notamment pour ses scènes à caractère érotique. Melvin Van Peebles écrira une lettre enflammée à l’intention de Jack Valenti, le président de la MPAA (Motion Picture Association of America) pour contester la validité et l’habilitation de la commission de censure à juger des films afro-américains et à attribuer le classement X à son film, allant jusqu’à le menacer de poursuite judiciaire pour violation des lois anti-trusts et concurrence déloyale.

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Mais Sweetback restera tout de même classé X, ce qui en fin de compte servira le film. Van Peebles en fera un slogan publicitaire, affichant « rated X by an all-white jury » à la fois sur l’affiche du film et sur la pochette du disque édité chez Stax.

Mais cela marque aussi le début des ennuis pour Van Peebles : il est black-listé à jamais par l’industrie du cinéma. Alors que dans le même temps les producteurs hollywoodiens ont compris les profits potentiels qu’offraient les films mettant en vedette des Afro-Américains : se succèdent les Shaft, Coffy, Black Caesar et autre Truck Turner ; mais rares sont les films qui retrouveront la puissance contestataire qu’avait insufflé Van Peebles.

Sources : www.funku.fr – www.redbullmusicacademy.com – www.monde-diplomatique.fr – www.dan23.com – www.discogs.com

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CREDITS :

Enregistré en 1971 aux Studios Stax – Memphis (USA) – Stax Records

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