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The Stooges Fun House – Enregistré en mai 1970 à l’Elektra Sound Recorders – Los Angeles – Elektra Records
Deuxième album des Stooges, “Fun House” porte à son paroxysme le rock’n’roll des pionniers (Gene Vincent et Vince Taylor) tout en utilisant la technologie de l’époque (murs d’amplis, wah-wah), jetant une accolade au free-jazz et se fracassant dans la réalité d’une époque post-hippie que Iggy et ses Stooges, visionnaires, envisagent comme atroce, mais lubrique.

En résumé, The Stooges Fun House pourrait bien être tout ce que le rock’n’roll avait jamais promis, des costumes moirés d’Elvis à la montée des gangs de Detroit, 36 minutes d’orgasme électrique.

Iggy et son groupe jouaient live en studio, à Hollywood. Les quatre Stooges (qui sont parfois cinq lorsque le saxo Steve McKay surgit dans “1970”, “Fun House” et “LA Blues”) utilisent les mythiques studios de La Cienega Boulevard comme une salle de jeux, s’émerveillant les uns les autres des prouesses qu’ils sont en train d’accomplir.


The Stooges Fun House

C’est en quelques jours de mai 1970 que les Stooges bouclent ce projet prométhéen, leur deuxième album. Le onze mai 1970, les Stooges installent leurs noirs Marshall dans le studio Elektra. Il apparaît vite que si Iggy est venu avec quelques idées de riffs, il n’a aucun texte (il chante en yoghourt, improvise des paroles réjouissantes de crétinerie).

Pourtant la bonne humeur règne, même si les Stooges sonnent comme un groupe garage bancal Qes Shadows Of Knight viennent immédiatement à l’esprit et l’on se souvient que Ron et Dave Alexander avaient fait le voyage Detroit-Londres pour voir jouer les Who et les Yardbirds).

Mais le clan stoogien a un moral d’acier. L’Obergruppenfuhrer Ron Asheton est dans une forme exceptionnelle. Avec une rigueur froide, il jette sur le fatras de compositions d’Iggy un titre parfaitement structuré, tiré au cordeau, qui deviendra “TV Eye”. La structure en est réglée au millimètre et on sent que le maniaque guitariste a préparé son affaire lors de répétitions féroces chez Studio Instrumental Rentals.

 The Stooges Fun House
The Stooges Fun House

Depuis passé au bulldozer par les promoteurs immobiliers, le studio Elektra était un lieu magique où ont enregistré Joni Mitchell, les Doors, Tim Buckley. C’était surtout un petit bijou acoustique. Audiophile, le P-DG d’Elektra, Jac Holzman, avait fait construire une pièce à l’acoustique parfaite, important à grands frais de Londres la console state of the art de l’époque. Un immense tapis persan sur lequel posent les Stooges, affalés dans leurs jeans troués, fera rêver deux générations de lycéens.

Furetant tel un beagle dans une bauge de sanglier, l’acquéreur des “Complete Fun House Sessions” se pose immédiatement la question des inédits. En existe-t-il ? On l’imagine puissamment, d’autant que les Stooges ont toujours fait mention d’un mystérieux morceau de cette époque, titre intitulé “Dog Food” dont on ne trouve nulle trace ici. (En revanche, on a douze versions de “1970” et vingt-neuf prises de “Loose”).

Et puis c’est le miracle : au détour des disques un et deux apparaît l’inédit de service : “Lost In The Future”. Commotion cérébrale du fan. Imagine-t-on quelqu’un remontant des caves d’Abbey Road les bandes de “Revolver” pour trouver le morceau de plus ? Et les séances de “Harvest”, existent-elles quelque part ? Quand sortiront-elles ? Le titre des Stooges, “Lost In The Future” fut laissé dans sa boîte 3M parce que c’était un Blew blues qui risquait donc de faire double emploi avec l’immense “Dirt” (douze prises).

The Stooges Fun House
The Stooges Fun House

A la réécoute, ce morceau est effectivement l’avenir des Stooges. Iggy chante un titre new wave, d’une modernité totale. Tout l’album “The Idiot” (notamment le titre “Dum Bum Boys”) sortira de là, il était en gestation lors de l’enregistrement de “Fun House”.

Le deuxième CD des “Complete Fun House Sessions” offre deux journées d’abattage (13 et 14 mai 1970) entièrement consacrées à l’élaboration de “Loose”. Soixante-deux minutes d’émotion créative. Car on parle ici d’un groupe soudé comme le poing. Bondissant comme des dobermans auxquels on lâche la laisse, les Stooges mettent patiemment le morceau en place. Quelle section rythmique ! Que de pains aussi…

Parfois c’est Ron Asheton qui est un peu lent à décocher son solo gluant de feed-back. Une autre fois c’est Scott Rock Action qui rate un roulement de batterie. Et puis Dave Alexander semble avoir toutes les peines du monde à tricoter sa ligne de basse (prodigieuse à l’arrivée).

N’importe quel groupe contemporain Pro Tools enregistrerait aujourd’hui ces séquences piste par piste, obtenant un de ces résultats froids, symétriques et gourmés qui rendent inopérante 99 % de la production metal contemporaine. Toute la force de “Fun House” réside dans cette volonté du groupe et de son producteur : enregistrer en direct, comme si l’acquéreur du disque assistait magiquement au concert idéal des Stooges installés dans son putain de salon.

The Stooges Fun House
The Stooges Fun House

Cette manière d’opérer, la seule bonne selon — au hasard — Keith Richards, donne au rock son punch, son urgence. C’était déjà celle privilégiée par Eddie Cochran lorsqu’il bastonnait “C’mon Everybody” avec sa secrétaire tapant sur une boîte à chaussures qui fît office de batterie, c’est l’option adoptée par Andrew Oldham lorsque les Stones accouchèrent d’Aftermath et c’est tout l’orgueil des quatre de Detroit d’être parvenus au même résultat.

Car personne ne s’énerve, les rires sont fréquents. « Dommage je l’aimais bien cette prise 108”, bisque Iggy quand les Stooges ’ fracassent dans le mur le 27ème “Loose” — et, avec une incroyable rigueur de pros oméricsdns, le quatuor remonte à l’assaut, encore et encore jusqu’à clouer des titres qui sortent de la glaise primate et deviennent ces fameuses sculptures soniques qui fascineront une génération et en inspireront une autre.

Le miracle intervient régulièrement : chaque fois que les quatre musiciens se trouvent en place pour quelques instants de cohésion, la musique qu’ils produisent dépasse de mille coudées la somme de leurs énormes talents personnels. C’est l’histoire du rock. Et Iggy hurle. Iggy se déchire le larynx des heures durant, reprenant avec son gang le refrain de “1970”, hurlant des i feel alright qui ne laissent aucun doute sur son inspiration du moment : James fucking Brown.

Dans une rare déclaration au Journaliste Ben Edmonds, vétéran de Cream Magazine, Iggy décrète :

“Oui, à l’époque j’écoutais ça : James Brown et Coltrane. Que sortait James à ce moment-là ? Des trucs comme ‘Make It Funky’, ‘Say It Loud I’m Black And I’m Proud’ et ‘I Can’t Stand Myself’. Voilà le titre minimal où soudain il crée une espèce de putain de musique rock’n’roll et c’est ça que je visais. Je voulais faire un truc encore plus fort. ”

Collier de chien autour du cou, cheveux cisaillés au sécateur, Iggy voulait être encore plus bad que Mister Superbad.

The Stooges Fun House

Le 18 mai est un beau Jour : les Stooges parviennent à vitrifier “Loose” (27e tentative, celle qui figure sur l’album final), ns attaquent bille en tête le riff de “Down On The Street” qui permet à Dave Alexander un fantastique bombardement de basses.

Désormais on se bouscule derrière la vitre sans tain du studio Elektra. Venu jeter un œil (et une oreille aussi), Jac Holzman a trouvé les premières paroles de “Loose” parfaitement révoltantes (“Je vole sur cette grosse saucisse rose/ Un truc gras et juteux/ Un truc rond et long”). Iggy les modifie.

D’autres visiteurs restent dans l’ombre, notamment Jim Morrison et Ray Manzarek qui, en toute discrétion, évaluent la future concurrence.

Et il faut ici évoquer le cas des deux hommes du métier, le producteur Don Gallucci et son ingénieur du son anglais toujours impeccablement tiré à quatre épingles, Brian Ross-Myring. Vingt-neuf ans après, le résultat de leur association continue de fasciner des gens aussi divers que Henry Rollins, Johnny Rotten ou Jack White.

The Stooges Fun House

Rappelons ici que les séances de “Never Mind The Bollocks” furent largement retardées parce que le camp Pistols refusait d’entrer en studio si McLaren ne retrouvait pas le duo qui avait accouché “Fun House”. Pourquoi les Stooges se faisaient-ils tout petits devant ces deux hommes ? Bien évidemment pour des raisons totalement idiotes.

L’ingénieur du son Bryan Ross-Myring avait travaillé pour Barbra Streisand et ne manquait jamais d’affirmer aux frères Asheton : “…Et je m’éclate beaucoup plus avec vous.  » On a beaucoup glosé et souvent écrit que les Stooges respectaient le producteur Don Gallucci parce qu’il avait joué de l’orgue sur la version des Kingsmen de “Louie Louie”.

En fait il était plus que cela. Enfant prodige, c’est sous le nom de Little Donny que Don Gallucci était un jour apparu à la télévision nationale, jouant dans l’orchestre de rémission “American Bandstand” présentée par Dick Clark. L’émission favorite des frères Asheton totalement accros à la télévision.

Pour les Stooges, ce Charlie Oleg teenage était un héros culte, et Ron Asheton se liquéfiait de joie à chacune de ses remarques : “Gee, little Donny en personne me parle. ”

Équipe de production ultra créative qui cartonnait sur toutes les FM avec un single de Crabby Appleton, le duo Don-Ross avait vu à Detroit trois concerts surpuissants des Stooges.

The Stooges Fun House

Dans la Motor City, la rumeur enflait et la free press osait déjà les comparaisons les plus flatteuses avec l’invincible grand frère MC5. Immédiatement, Gallucci détecte un happening free-jazz qui clôt les concerts stoogiens. Ce freak-out atomique change souvent de titre (“Freak » certains soirs, “Energy Freakout Freeform » certains autres).

Rebaptisé “LA Blues”, il est censé exprimer la frustration grandissante des Stooges qui ont le cafard de Detroit et abhorrent de plus en plus ce séjour forcé dans les chambres miteuses du Tropicana Motel (à l’époque peuplé par Warhol et sa clique ainsi que Ed Sanders des Fugs qui met la dernière touche à son livre culte sur Charles Manson, “The Family »).

A Los Angeles il fait beau et chaud. Entre les arbres qui ondulent au gré du vent, on voit briller l’acier, le verre, le béton et le plastique. Malades d’ennui, les Stooges osent une expérimentation free de 17 minutes qui les hisse au niveau de Coltrane et d’Archie Shepp. Gallucci en excisera quelques minutes qui clôturent l’album.

La visite guidée de ce monument ne saurait s’achever sans une mention des petits dialogues qui sont restés collés entre les titres. On y découvre l’humour de Stooges planant très haut (Iggy était, confesse-t-il dans son livre de, heu, souvenirs, “constamment sous acide”, mais à l’époque, on l’était tous…). “

Au-delà d’Iskabar, tonne Iggy. Par-delà les mers propéermes, vous découvrirez bientôt un pays de rêve, Stoogeland. ” Le groupe attaque le mirifique “Fun House”. Et la grande question se pose : pourquoi ce gang ultime, le seul en Amérique capable de rivaliser avec Led Zeppelin, les Who ou les Stones, n’est-il pas devenu plus populaire que le pain coupé en tranches ou la bière en boîte ?

The Stooges Fun House

La réponse est connue et a été exposée en détail par Nick Kent dans “L’Envers Du Rock” : héroïne. C’est dès leur retour au Stooge Manor de Detroit qu’un roadie branchera Scott Rock Action Asheton sur la poudre.

Iggy suivra avec un appétit carnassier pour toutes les choses opiacées et Ron Asheton, pour la première fois de sa vie impuissant, verra son groupe imploser en vol.

Mais du côté d’Elektra, les choses n’étaient pas très claires non plus : sur ordre express de Jac Holzman, Don Gallucci remixa sournoisement “Down On The Street” pour la version single. Surprise : on entend une partition d’orgue très Ray Manzarek couvrir les riffs telluriques de Ron Asheton et la voix de lynx d’Iggy Pop.

Une tentative naïve qui laissa les PM américaines de marbre et annonce l’avalanche de mésaventures surnaturelles qui allait fracasser les Stooges avant la mort de tous ces protagonistes, roadies, musiciens, journalistes et intimes du groupe (douze en tout qui sont ici crédités et pour la dernière fois remerciés).

Cet album halluciné, produit d’esprits adolescents galvanisés par l’herbe et l‘acide, pas encore régulés par l’ombre blanche qui carbonisera le gang ensuite, est l’un des secrets les mieux gardés de l’histoire du rock. Comme le premier Velvet Underground, « Fun House” a ses addicts. Jugé difficile d’accès par la critique de l’époque, il fut l’objet d’un culte bouche à oreille.

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