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Dans la famille des compositeurs-arrangeurs français, Michel Colombier est un homme discret dont le nom s’est souvent effacé derrière ceux de Gainsbourg, Pierre Henry ou Prince. Pour le cinéma, ce caméléon a composé quelques-unes des musiques les plus singulières. Parmi elles, la bande-son du film l’Héritier de Labro fait partie de ces petits trésors cachés, à la fois vaporeuse, groovesque, aérienne. Elle marquera l’oreille de futurs musiciens parmi lesquels Nicolas Godin de Air.

Né le 23 mai 1939 à Lyon, Michel Colombier reçoit, enfant, une solide formation classique (piano, harmonie et contrepoint) d’un père musicien, avant que le conflit des générations ne prenne le dessus. L’adolescent est happé par le be-bop et le souffle de John Coltrane. Les discussions qu’il a avec son père provoquent chez lui un refus absolu de hiérarchiser les genres et, plus encore, de les cloisonner. Attitude que radicalisera sans doute son renvoi, après deux années frondeuses, du Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

B.O. de l’Héritier – Michel Colombier

Cet échec signera son originalité. Toute sa vie, Michel Colombier se plaira à mêler à des éléments symphoniques, des percussions et des rythmes afro-américains, des bizarreries électroniques.

Mon éveil à la musique est antérieur au fait même de savoir ce que c’était. J’ai pour mémoire ma mère disant que lorsque j’entendais de la musique de Bach à la radio – j’avais peut-être 2 ans – je pleurais à chaudes larmes et lorsqu’elle me demandait pourquoi je pleurais, je répondais « parce que c’est beau ». Quelques années après, j’ai découvert le jazz, sans que cela me fasse me détacher de la musique classique. Je ne vois pas vraiment de différences en musique dans la façon de s’exprimer, que ce soit baroque, romantique, électro-acoustique, jazz, blues, tango, rock… Cela a toujours été ma façon spontanée et innée d’appréhender, de comprendre et d’aimer la musique. Je crois que mon jardin personnel est plus un jardin à l’anglaise qu’un parc à la française avec des allées bien droites et du petit gravier. Je n’aurais jamais pu abandonner un aspect de la musique ou un moyen d’expression musicale pour un autre. Pour moi, ces aspects sont bien vivants, et ils vivent et jouent ensemble.

Michel Colombier
Michel Colombier
Michel Colombier

En 1961, il rencontre le compositeur Michel Magne. L’auteur, entre autres de la musique de Fantômas et d’un très grand nombre de partitions loufoques pour des nanars, l’attire vers les expérimentations et en fait, selon Colombier, son « nègre ». Puis Magne le recommande à Eddy Barclay, qui le nomme, à 22 ans, directeur musical de sa maison de disques.

Il mène dès lors en parallèle arrangements (Aznavour, Barbara, dont «L’aigle noir») et musiques de film (L’Arme à gauche de Claude Sautet). Il épaule ensuite Serge Gainsbourg pour plusieurs films (dont L’Horizon de Jacques Rouffio et son fameux thème «Elisa»), Vittorio De Sica lui faisant signer sa première partition «officielle» (Un Monde nouveau, 1966).

Michel Colombier
Michel Colombier

Après le coup de maître de Messe pour le temps présent, véritable classique de la modernité, et un 33 tours personnel (Capot pointu), il accompagne Petula Clark aux Etats-Unis et y fait la connaissance d’Herb Alpert, fondateur du label A & M, qui lui donne carte blanche. Ce sera l’album Wings (1970), une tentative de fusion entre symphonie, jazz et rock qu’il considérait comme son chef-d’œuvre.

Je suis rentré des Etats-Unis avec « Wings », mais je ne sais pas pourquoi Melville m’a appelé. Le disque n’était pas encore sorti, j’avais une bande, j’ai amené mon Revox avec moi parce qu’il n’avait pas de lecteur. Il a écouté « Wings » sans dire un mot, du début à la fin, et il m’a dit [Michel Colombier imite Jean-Pierre Melville – NDLR] : « C’est remarquable ! Dans le sens étymologique du mot, c’est remarquable ! » (rires). On a fait « un flic » et puis il m’a dit « Il y a ce petit qui vient toujours me demander des conseils, il va vous appeler. Je lui ai dis qu’il fallait qu’il fasse son film avec vous ! » C’était Philippe Labro ! Avec Labro, on a fait trois films coup sur coup. Il était très influencé par Melville. Quand on s’est rencontré, il m’a dit : « J’ai fait mon premier film avec Morricone, mais comme Melville m’a dit de travailler avec vous, je le fais avec vous ! » « L’Héritier » était un film complètement américain, très inspiré d’un personnage à la John F. Kennedy.

Michel Colombier

Par l’intermédiaire de Jean-Pierre Melville, son mentor de cinéma, pour qui Colombier vient de signer la musique d’Un Flic, Labro entreprend de confier la partition de ce thriller politique au compositeur de L’Arme à Gauche qui est, en 1973, déjà un compositeur-arrangeur confirmé (Le Pacha, Une Souris chez les Hommes, Ce Sacré Grand-Père…)

Bande sonore de l'Héritier (Michel Colombier)
Bande sonore de Michel Colombier l’Héritier

Reflet d’une époque et œuvre d’un réalisateur nettement influencé par le polar américain, L’Héritier dresse le portrait de Bart Cordell (Jean-Paul Belmondo), jeune milliardaire bronzé reprenant l’empire de presse à papa, décédé dans des conditions mystérieuses.

Autant dire que le temps n’a pas rendu hommage à ce nanar gaulois où Belmondo enchaine cascades sorties de nulle part, demi-viols de belles femmes blanches et séquences de torgnoles à légitimement déclencher des AVC chez tous les féministes. Un bon résumé de la carrière de Belmondo dans les années 70, certes, mais où surnage une bande-son imaginée par Colombier, petits trésors cachés du patrimoine, vaporeuse, groovesque, aérienne.

Bande sonore de l'Héritier (Michel Colombier)
Bande sonore de Michel Colombier l’Héritier

Pour L’Héritier, Colombier compose une musique en totale adéquation avec le personnage de Cordell et le monde industriel et financier qu’il dirige : piano, guitares, batterie, basse électrique et cuivres sont les principaux moteurs mélodiques de cette partition plutôt énergique, mais empreinte d’une mélancolie qui annonce déjà le destin tragique du personnage.

Mention spéciale au thème principal qui ne peut que nous évoquer l’image d’un Charles Denner désemparé, penché sur le corps de son ami Cordell, lâchement assassiné.

Pour obtenir cette efficacité très seventies (guitares scratch, pédale wah-wah, basse soutenue, orgue/moog et interventions de cuivres musclés), le compositeur s’entoure de solistes dont la réputation n’est plus à faire : Jannick Top à la basse, Claude Engel à la guitare et Jean Schulteiss à la batterie.

Bande sonore de l'Héritier (Michel Colombier)
Bande sonore de Michel Colombier l’Héritier

Devenue l’emblème de beaucoup d’afficionados de musiques funky/pop 70’s, la partition de Colombier s’inscrit dans son époque et suit la veine d’un renouveau musical perpétrant l’image d’un acteur pour qui certains compositeurs surent prendre des risques et sur lequel la musique n’aura que peu de prises avec le temps (De Roubaix pour La Scoumoune et plus tard Sarde avec Flic ou Voyou).

Colombier restera fidèle à Labro sur ses nouvelles tentatives filmiques, Le hasard et la violence (1974) et surtout L’Alpagueur (1976), où le couturier harmonique retrouve Belmondo pour un générique aussi puissant que celui de L’Héritier.

Sources : www.radiofrance.fr – www.underscores.fr – www.michelcolombier.com – www.liberation.fr – https://gonzai.com – www.discogs.com

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TITRES :

  1. L’Héritier (Thème) – 3:34
  2. Rêve – 1:16
  3. L’Usine – 2:03
  4. Hôtel Lutétia – 1:13
  5. Kidnapping – 0:37
  6. L’Héritier (Part 2) – 2:50

CREDITS :

Enregistré en 1973 au Studio Davout (Paris) – A&M Records

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