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Encouragé par le promoteur local Bill Graham (patron du Fillmore, etc.), Santana se fait connaître localement dans un premier temps, avant d’être propulsé sur le devant de la scène du jour au lendemain, grâce à une prestation mémorable au festival de Woodstock et un premier album publié simultanément, contenant les classiques Evil Ways, Jingo et Soul Sacrifice. Un an plus tard, sous sa pochette peinte par Mati Klarwein, « Abraxas » impose son stupéfiant mélange de rock, blues et salsa, ainsi que l’éblouissante virtuosité de son leader à la guitare.

C’est en août 1969, sur la scène bordélique de Woodstock, armé de sa Gibson et encerclé par des instruments en pagaille et des roadies en stand-by, que la légende de Carlos Santana démarre. Avec son veston noir sur son torse nu et sec, sa chevelure frisée, son petit bouc et ses mimiques quand il part en solo, le guitariste d’origine mexicaine, qui a avalé de la mescaline avant le concert, envoûte les dizaines de milliers de hippies venus pour tripper dans la campagne de l’Etat de New York.


Santana Abraxas

Avec ses gammes de blues posées sur les rythmes chaloupés de ses collègues (et notamment du percussionniste nicaraguayen José “Chepito” Areas), Santana convertit au passage toute une génération à la fusion entre rock et musiques latinos.

Son groupe, avec lequel il tourne depuis quelques années dans les clubs de San Francisco, n’a pourtant pas encore sorti d’album. Ils sont entrés quelques mois plus tôt en studio, et trois reprises figurent dans la setlist de ce concert mythique, deux titres du roi du jazz latino Willie Bobo, Evil Ways et Fried Neck Bone and Some Home Fries, ainsi que Jin-go-lo-ba, du percussionniste nigérian Babatunde Olatunji.

Santana Abraxas

Mais le grand moment de ce show reste le crossover salsa/rock Soul Sacrifice, marqué par le mythique solo de batterie de Michael Shrieve, qui leur assure une place de choix dans le film Woodstock (1970) de Michael Wadleigh, et donc à la postérité.

Quinze jours après le festival, le label Columbia sort le premier album du combo, intitulé Santana. C’est aussi Graham qui a poussé pour que Evil Ways, la reprise de Willie Bobo, devienne le single. “Ce titre va cartonner à la radio”, promet-il. Bingo : le disque, qui sonne comme la bande-son du voyage de Sal Paradise et Dean Moriarty à Mexico, monte à la 4e place du top albums américain.

Un an plus tard, en septembre 1970, le groupe enchaîne avec Abraxas, toujours blindé de percussions et de rythmes afro-cubains, et encore de reprises transformées en tubes : Black Magic Woman, écrit deux ans plus tôt par Peter Green de Fleetwood Mac, et qui avait connu un succès limité ; et Oye Como Va du Portoricain Tito Puente, qui date de 1962.

Carlos Santana
Santana Abraxas

Comme souvent, plus arrangeur que compositeur, le génie de Santana consiste à assimiler les morceaux originaux et à leur adjoindre une dimension sauvage et extatique, avec comme objectif affiché de tripper et faire tripper sur scène avec de longues plages instrumentales. De blues lo-fi, Black Magic Woman se transforme ainsi en hymne chamanique à sauter au-dessus du feu.

Peter Green me semble le guitariste le plus proche de l’âme noire américaine. On sent qu’il pense incroyablement vite pour jouer très lentement. […] Je lui serai éternellement reconnaissant d’avoir écrit Black Magic Woman que je considère comme l’enfant direct d’Otis Rush. “Lorsque Peter a quitté Fleetwood Mac il est resté de longues saisons sans jouer. Un soir, à Fresno, il nous a retrouvés pour jammer. Gregg a pensé alors que nous pourrions reprendre ce morceau. Nous ne l’avions pas réarrangé, c’était juste pour jouer avec lui. Nous n’avions pas l’idée que ça puisse correspondre à notre identité.

Carlos Santana

En guise de coda à Black Magic Woman, le petit récitatif d’ouverture reprend de plus belle, enchaîné cette fois à Gypsy Queen, reprise de Gabor Szabo transformée en ode africaniste primitive et furieuse. Le solo de Carlos devient espiègle et virtuose. Un premier riff bouleverse le climat en optant pour la samba.

Le deuxième reste en suspens grâce à un long sustain tombant dans l’escarcelle de Gregg à l’orgue, qui le transforme alors, avec les percussionnistes, en salsa volubile, Oye Como Va, reprise de Tito Puente.

Carlos Santana
Santana Abraxas

L’enchaînement Black Magic Woman – Oye Como Va devient immédiatement mythique, le public lui conférant un statut d’hymne. Pourtant, aucun des titres n’est signé par le groupe.

J’avais entendu Oye Como Va un soir à la radio, très tard. Le présentateur avait gueulé : ‘C’est l’heure de la fête !’. Et il était deux heures du matin. Je venais alors de quitter la maison de mes parents, et j’avais envie de vivre ma vie autant de jour que de nuit. Cette station était new-yorkaise et ne passait que de la musique afro-cubaine. Oye Como Va sonnait particulièrement bien. Dans Mission Street je me suis procuré le disque où ça figurait : El Rey, Tito Puente. Ce n’était même pas considéré comme l’un de ses succès. Pour moi, c’est cette chanson que j’ai envie d’entendre chaque fois qu’il y a une fête.

Carlos Santana

C’est avec cette jovialité simple que Carlos Santana fait passer ses reprises pour des créations. Chaque morceau correspondant à une étape de son existence, Oye Como Va symbolise l’insouciance de la jeunesse, l’authenticité du jeu, le plaisir de la pulsation et fait oublier la maigre portée des textes.

Carlos Santana
Santana Abraxas

La coupure s’opère, avec Incident At Neshabur, hommage impressionniste au grand rêve d’indépendance de Toussaint et de ces esclaves haïtiens du début du dix-neuvième siècle.

Neshabur était le lieu où Toussaint vivait avec son armée de révolutionnaires noire. […] Alberto nous a beaucoup aidés pour ce morceau. La première partie vient d’un thème de Horace Silver, Senor Blues, la partie lente est une émanation de This Girl’s In Love With You, une chanson d’Aretha Franklin.

Carlos Santana

Outres les arrangements sud-américains d’Alberto Gianquinto, Abraxas propose d’autres facettes propres : Se A Cabo, pièce patinée, signée Chepito, aux motifs tournant en spirale au milieu de riffs débridés.

Gregg Rolie offre Mother’s Daughter, chanson résolument pop dont le caractère frénétique rappellera un certain registre d’écriture du tandem Robert Plant/ Jimmy Page.

Composé par Carlos, Samba Pa Ti ramène tout ce petit monde à la raison, grâce à une ballade oscillant vers la bossa nova.

Les deux derniers titres Hope You’re Feeling Better de Gregg Rolie et El Nicoya de Chepito Area, proposent deux extrêmes, aussi complémentaires qu’éloignés au premier abord. Le thème de Gregg est à la fois énergique, sauvage et acéré, rock et funky : son titre le plus célèbre sans doute, totalement en phase avec le son féroce du tout début des années soixante-dix et de ses grands représentants Led Zeppelin ou Deep Purple.

Santana Abraxas

Le titre de Chepito est tout aussi sauvage mais essentiellement caribéen et traditionnel : joute entre congas et timbales, ponctuée de chants, de cris et de palabres ; évocation figurative puissante, source d’influence pour bon nombre de groupes de jazz électrifié, en premier lieu Weather Report.

Largement influencé par Bitches Brew de Miles Davis (les deux disques ont été illustrés par Mati Klarwein), Abraxas passera six semaines en tête des charts, et restera dans le top durant 88 semaines (il sera certifié quadruple platine).

Afin d’expliquer l’engouement inouï que suscite cet album allégorique et charnel, Carlos définira sa recette de la manière la plus sybilline.

Avant il y avait soit le jazz, sort le blues. [… Si tu rajoutes des congas, la musique initiale prend immédiatement un air de fête. La mélodie est du genre féminin, le rythme masculin. Lorsqu’ils s’accouplent, ils génèrent un orgasme spirituel.

Carlos Santana

Sources : www.santana.com – https://fr.wikipedia.org – www.qobuz.com – www.disclogs.com

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CREDITS :

Enregistré en avril-mai 1970 au Wally Heider Studios (San Francisco) et Pacific Recording Studios – Columbia

  • Alberto Gianquinto – Piano sur Incident at Neshabur
  • Steven Saphore – Tablas
  • Rico Reyes – backing vocal on « Oye Como Va », backing vocal and percussion on « El Nicoya »
  • John Fiore, David Brown – engineer
  • Rob LoVerde, Shawn Britton – mastering engineer
  • MATI – illustrations

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