• Post category:ALBUM
  • Auteur/autrice de la publication :
  • Temps de lecture :9 min de lecture

Si l’album de Scott Walker Scott 4 a provoqué des réactions diverses à sa sortie et a été retiré des bacs quelques semaines après, il a depuis été réévalué par la critique grâce à son influence sur David Bowie, Nick Cave, Mark Almond et Neil Hannon de Devine Comedy. Il est aujourd’hui légitimement réédité. Sa richesse sonore et son envergure extraordinaire ont de quoi ébahir les générations à venir.

Nous sommes en 1967 soit trois ans avant la sortie de Scott Walker Scott 4. Un temps ennuyés par des problèmes de permis de travail, les Walker Brothers n’ont rien vu venir. Avec le psychédélisme et l’obsession de la guitare lead, du blues revival et du Flower Power, les Walker Brothers, comme Spector et Bacharach d’ailleurs, se retrouvent à la traine, démodés.


Scott Walker Scott 4

Malgré un fabuleux “Walking In The Rain”, Scott Walker se fâche avec John, entre en dépression, tente une retraite dans un monastère, commet sa première tentative de suicide. Ils tournent une dernière fois avec Hendrix et Cat Stevens. Mais tout est plié. 1968. Les Walker Brothers sont morts.

Mais Scott se re-saisi. Il souhaite poursuivre ce qu’il a commencé vers la fin du groupe. Il garde à ses côtés son producteur John Franz, qui va l’aider à réaliser ses quatre premiers albums solo en l’entourant de certains des meilleurs arrangeurs anglais du moment : Reg Guest, Peter Knight, Wally Stott.

“Scott”, son premier album solo, sort à la fin de l’année. On dit encore que sa fan base est plus nombreuse que celle des Beatles. C’est une poule aux œufs d’or. Enfin, pour quelques mois encore. On l’a donc jeté en studio.

Scott Walker
Scott Walker Scott 4

Dès 1967, l’affaire Walker Brothers était certes pliée en apparence, mais Scott Walker l’affirmait à longueur d’interviews : les choix, le son des Walker, c’était lui. Et “Scott” n’est pas si loin de “Images”, le troisième et dernier album des Walker Brothers.

Seuls changent les textes, désormais désespérés. Le reste. Tout était là. L’obsession crooner, Tony Bennett et les autres, comme le goût des orchestrations. Du groupe, il était l’âme. Et ce disque le prouve outre-mesure.

« J’ai toujours été fasciné par un certain type d’écrivain européen. Ça a commencé après le lycée, en Californie.  Je lisais Sartre, que je n’aime plus beaucoup maintenant, mais qui à l’époque, avait eu une grande influence sur moi. Kafka, bien sûr. Ces écrivains étaient mes principales sources d’inspirations. Des films européens aussi que j’allais voir dans un cinéma d’art et essai sur Wilshire Boulevard, Bergman, Kurosawa, etc. »

“Mathilde”, “Amsterdam”… sont dans le tracklisting. Mort Shuman venait de lancer son « Jacques Brel Is Well And Alive In Paris », une comédie musicale qui avait fait découvrir Brel au monde anglo-saxon. Shuman, avec génie, avait tout réécrit. Tout réarrangé, adapté les chefs-d’œuvre du Flamand à l’Amérique, mais sans rien trahir. Scott Walker est fasciné. Nina Simone, Terry Jacks, Scott, Bowie bien sûr… Tous ceux-là lui doivent leur passion pour Brel et la force de leurs reprises.

Scott Walker Scott 4

Scott Walker se plonge dans Brel comme il découvre Kurt Weill et “Opéra…”. Il se plonge aussi (et apprend ! ) dans l’harmonie, le solfège, le chant grégorien, les lieder de Shubert et de Hugo Wolf. Cet Américain devient le plus Européen des chanteurs anglais. Presque curieusement, “Scott” marche. Au loin bientôt, déjà, c’est Barry Ryan, l’Elvis à venir, Neil Young façon “Harvest”… le retour de l’orchestre. Il semble un disque adulte, intimiste. Il annonce d’une certaine manière l’introspective folk à venir.

“Scott 2” marche encore mieux. Encore des reprises de chansons de Brel, dont un étonnant “Next”. L’ombre de Tim Hardin, encore une influence, et toujours ces orchestrations tourbillonnantes. “Scott 3” clôt la trilogie. Moins de reprises, Des influences plus vastes encore. On touche au baroque. Au Cabaret. Tout cela annonce le Bowie à venir, Nick Cave, The Divine Comedy. “Scott 3” est un disque décadent. “Big Louise”, ces tangos, ces trompettes de corridas. C’est presque trop. Parfois la voix est noyée dans le génial fatras.

Scott Walker Scott 4

Scott écrit et compose une part grandissante de son matériel. C’est ainsi qu’en 1970, sur le mémorable Scott 4, il signe seul toutes les chansons, sous le nom de « Noel Scott Engel ».

La grandiloquence orchestrale des albums précédents disparaît et laisse la place à un dépouillement qui complète parfaitement le riche baryton qu’est Walker. Les arrangements de Seventh Seal, influencés par Ennio Morricone, se marient à un récit fondé sur le film du même titre d’Ingmar Bergman, réalisateur préféré de Walker.

Dans The Old Man’s back again, le chanteur dénonce le spectre du stalinisme en Europe de l’Est, à la suite de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 – le tout sur une ligne de basse funky.

Get behind me et Duchess explorent l’intérêt grandissant de Walker pour la soul et la country, tandis que sa voix pleine d’émotion trahit un vulnérabilité obsédante dans The World’s Strongest Man-Hero of the war critique avec cynisme et intelligence pansion du militarisme. Boy Child est une méditation su l’innocence, dont les arrangements donnent froid dan le dos.

Scott Walker Scott 4

A peine distribué, Scott Walker Scott 4 est retiré des rayons, puis ressort sous le nom de Scott Engel. Pourtant, c’est un chef-d’œuvre. Une épure, presque, du style de Scott Walker.

Les arrangements sont moins présents, la production presque discrète, sans la connotation claustrophobe des précédents. On sent l’influence grandissante de la country. Mais tout le monde alors, à la suite du Band, écoute de la country. Des Hollies aux Bee Gees. Manque sans doute, aussi, un tube. Un nécessaire moteur.

Reste, avec ces quatre disques, et surtout Scott Walker Scott 4, une fascinante épopée, un cas limite d’artiste ayant saisi la pop à bras le corps pour en faire une affaire personnelle. Avec ce que cela suppose de guimauve, de provocation, de panache !

De Brendan Perry à Nick Cave, de Neil Hannon à Jarvis Cocker, de Marc Almond à Julian Cope, on ne compte pas les gens qui lui disent merci. Fort heureusement, ça commence à se savoir…

Sources :

###

CREDITS :

Enregistré en 1969 à l’Olympic Studios, London -Philips / Fontana


Laisser un commentaire