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1965. Après les émeutes raciales de Watts qui viennent de secouer les Etats-Unis, le parti des Black Panthers incite de nombreux partisans issus des quartiers défavorisés à passer à l’action militante. Les films de Sidney Poitiers (bien sous tous rapports, présentable, issu de la classe moyenne mais davantage toléré qu’accepté par la société blanche), ne reflète pas la vie d’une grande majorité d’Afro-américains. Ils commencent à exiger un cinéma plus proche de leur réalité, qui leur ressemble. Un cinéma fait pour eux, par eux : la Blaxploitation.

Dans la musique, de nombreux artistes Afro-américains tels The Impressions, Funkadelic et James Brown, offrent déjà une musique qui comporte des messages forts tel «i’m black and i’m proud». Tous les hits-parades de l’époque prouvent que la demande est considérable. Il en est de même pour le cinéma.

Sweet Sweetback’s Baadasssss Song

La première réponse à cette attente est la sortie du film « Sweet Sweetback’s Baadasssss Song » de Melvin Van Peebles en 1971. Entièrement fabriqué hors du système, le film remet subitement en question l’exclusion des Noirs du cinéma populaire. Et invente du même coup la blaxploitation : contraction de black exploitation, nouveau cinéma de genre avec des Afro-Américains pour héros.

Le succès phénoménal de « Sweet Sweetback’s Baadasssss Song » intéresse Hollywood. Le coût de fabrication des films ayant doublé entre 1962 et 1972, les majors américaines, par ailleurs bousculées par le pouvoir grandissant de la télévision, sont amenées à revoir leurs stratégies pour continuer à amener le public dans les salles de cinéma. Cherchant des « niches » de spectateurs et profitant de l’engouement pour Sweet Sweetback, les studios courtisent le public afro-américain. La même année sort sur les écrans « Shaft, les nuits rouges de Harlem » de Gordon Parks, pur produit formaté, mais destiné au public Noir.

Bien conscient de l’impact que la musique de Shaft a eu sur le public, les producteurs s’engouffrent également dans la brèche blaxploitation et décident de miser sur des pointures de la soul, du R’n’B, du funk voire aussi du jazz. Un pari facilement mis en place avec l’aide de nombreuses maisons de disque (Motown, Stax…) qui désirent placer leurs artistes sur ces disques qui possèdent tous les attributs de futurs hits.

isaac hayes shaft
Blaxploitation : isaac hayes shaft

L’âge d’or de la blaxploitation

L’année 1972 est l’apogée du genre, avec la série des Shaft, le superbe et négligé Trouble Man avec une bande originale de Marvin Gaye et surtout Superfly, dont la bande originale signée Curtis Mayfield constitue la rencontre idéale du funk de James Brown avec la suavité de Marvin Gaye. Curtis n’est pas un nouveau venu lorsqu’il compose la BO de Superfly. Mais tout comme Hutch, c’est ce travail en particulier qui lui vaudra sa renommée. Les morceaux de Mayfield sont éloignés des grosses envolées funky wah-wah qui contribuent au dynamisme de la blaxploitation. Doux, voire tendres, ceux-ci n’en demeurent pas moins rythmés, même si l’on doit reconnaître qu’ils forment un contraste saisissant (tout comme dans The Mack) avec l’action et les activités du héros.

Cet anachronisme entre action à l’écran et musique n’est pas typique de la blaxploitation, même si un certain nombre de BO, par leurs rythmes joyeux et endiablés, font parfois tache avec l’histoire qui se déroule devant nos yeux. La musique de War pour Youngblood ne semble ainsi jamais en accord avec les émotions du film, en particulier lorsque l’on atteint la fin, noire au possible, et qu’une musique festive défile en fond sonore.

Cette apparente dichotomie est aussi, et surtout, le résultat de la confrontation de deux visions artistiques. D’un côté celle du réalisateur, de l’autre celle du compositeur à qui il est alors souvent laissé carte blanche – parfois bien en amont, avant que la moindre scène du film ne soit tournée – pour accoucher de ses morceaux, avec pour seule consigne de livrer quelque chose de funky tendance wah-wah.

black caesar
Blaxploitation : black caesar

Déclin

Plus de deux cents films du même registre sortent sur les écrans jusqu’au début des années 1980. Ils dépeignent une image à la fois cool et dure, que le héros soit flic ou délinquant, de la vie urbaine noire. La plupart de ces films sont une exaltation du black is powerful, en rupture avec le black is beautiful prôné par un label comme Motown au cours de la décennie antérieure.

La Blaxploitation restera au sommet pendant un peu plus de quatre ans. En effet, en quelques années seulement, ce cinéma n’attire plus les foules. Les réalisateurs n’arrivent plus à renouveler le genre et, à force de l’exploiter à tort et à travers, ils finiront par le faire sombrer dans le ridicule. Les films sont des copies conformes, les scénarios sont limités ainsi que les moyens. Le cinéma Noir finit par lasser. De plus, les studios ont commencé à intégrer les acteurs noirs dans des films traditionnels, rendant moins attrayants pour le public des films très catégorisés.

Blaxploitation : Bande originale de Across 110th street (Bobby Womack/J.J. Johnson)
Blaxploitation : Bande originale de Across 110th street (Bobby Womack/J.J. Johnson)

Au départ instrument identitaire destiné à rendre positivement visible la communauté afro-américaine, ce genre se mue rapidement en opportunité commerciale : le cinéma noir porteur et vendeur auprès d’un public captif intéresse vite les grands studios hollywoodiens.

La Blaxploitation devient un filon pour productions faciles à succès et perd sa substance identitaire. De là naitront nombre de films black de l’époque, clairement de série B, adaptations de productions existantes manquant d’originalité. Ce mouvement qui a surtout marqué les États-Unis, a, proportionnellement au nombre de films produits, peu connu le succès à l’étranger.

Si une grande majorité des films de blaxploitation étaient de qualité plutôt médiocres, souvent violents et remplis de clichés et de préjugés, chaque film était l’occasion de fournir une bande originale de grande qualité.

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