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Depuis plus d’un demi-siècle, la Stratocaster de Leo Fender est devenu l’emblème de la guitare électrique et le symbole d’une musique, le Rock. Grâce à son timbre clair et son vibrato légendaire, la guitare a parfaitement réussi le mariage difficile de l’électrification, du design et de l’innovation.

Dès la naissance de la radio, l’électricité est perçue comme un bon moyen d’augmenter le volume sonore des instruments acoustiques. Plusieurs modèles de guitare électrique apparaissent dans les années 30, comme la guitare The Frying Pan de Rickenbacker.

A cette époque, les instruments sont encore des prototypes fabriqués par des luthiers, pièce par pièce. En 1940, Les Paul, un jeune musicien passionné d’invention, proposera la guitare The Log à la compagnie Gibson, un modèle à corps plein confectionné d’une table en érable massif.

Quelques années plus tard, l’arrivée de Leo Fender, un luthier doté d’une imagination fertile, va semer le trouble au cœur de ce marché économique encore balbutiant…

Leo Fender
Leo Fender

Leo Fender ne sait pas jouer de la guitare, mais il sait sentir les besoins de son époque et écouter les souhaits de ses amis musiciens. Il fait la tournée des clubs et met les artistes à contribution. Il imagine en 1949 une première guitare, la Broadcaster, rebaptisé par la suite Télécaster. Une guitare facile à prendre en main, facile à accorder, et facilement réparable. Leo Fender décide de l’améliorer…

Les années 50. L’époque de la conquête spatiale et des ovnis cinématographiques va être la source d’inspiration de son nom : ‘strato’ pour stratosphère. La Stratocaster prend vie en 1954. C’est un modèle de type solid body comme la guitare The Log de Les Paul, mais la ressemblance s’arrête là. Intrigante, provocante et avant-gardiste, c’est une véritable révélation au royaume des luthiers.

Elle est conçue originalement pour servir la musique country, mais l’arrivée du rock’n’roll va modifier son histoire et exciter la curiosité de nombreux musiciens venant d’horizons divers : Steve Ray Vaughan, Buddy Holly, Hank Williams, Gene Vincent, mais aussi Jimi Hendrix, George Harrison, David Gilmour, Eric Clapton, Ritchie Blackmore.

La Stratocaster, un design et une conception étudiée

Le corps en bois est sculpté en courbes sensuelles, ses arrêtes sont incurvées afin d’épouser l’anatomie du guitariste. Les deux creux asymétriques ont pour but d’équilibrer la guitare et de faciliter l’accès aux cases du manche les plus aiguës. La tête du manche, avec les vis mécaniques d’un seul côté, rend son accord plus facile. Mais surtout, Leo Fender réinvente le système du vibrato. Le chevalet cordier est articulé, ce qui permet de changer la tension des cordes et d’apporter des effets de variation sans désaccorder l’instrument.

Stratocaster
Stratocaster

La plaque de protection est solidaire des trois micros qui permettent une modulation du son inédite. Le jack se branche à l’avant du corps de la guitare, permettant au câble de ne pas sauter et d’avoir ainsi une connexion plus fiable. Son manche peut être monté et démonté sans l’intervention d’un luthier. Chaque élément de la Stratocaster est conçu en vue d’une fabrication en série. Son design est si parfait qu’il ne subira que de légères modifications depuis son premier modèle.

La fabrication en série

À l’époque, l’automobile est en plein essor et les modèles sortent des usines à la chaîne. Leo Fender intègre ces nouvelles données et suit le même principe dans son entreprise de Fullerton. Un stock important de bois y attend son sort. Erable, palissandre, aulne, et bien d’autres essences précieuses sont sélectionnées pour leur qualité mécanique et acoustique.

Au lieu d’être réalisé par un luthier, du matériel brut à l’instrument finalisé, la fabrication est organisée par poste. Chaque ouvrier artisan répète des tâches spécifiques : taille du corps et du chanfrein, ponçage, polissage, finition. Les manches en érable sont prédécoupés avant d’accueillir les touches en palissandre ou en ébène.

Certains modèles sont dotés d’un manche en érable d’une seule pièce. Les frettes métalliques qui séparent les cases et les tiges de réglage permettant d’ajuster la courbure du manche sont insérées à la main. Une fois l’instrument assemblé, cinq autres postes s’occupent de l’équipement électronique. En fin de chaîne, un technicien règle et essaye chaque guitare, la baptisant avant sa mise dans le commerce.

L’amplification, qui permet à de petits groupes de musiciens d’accéder à une nouvelle ampleur sonore, sera aussi au centre des préoccupations de Leo Fender. Son entreprise sera à la pointe de ce nouveau marché en produisant toute une gamme d’amplificateur : champion, bassman, deluxe, princeton…

Quand la ‘strato’ devient un objet d’art

Leo Fender a l’idée de décorer les Stratocaster avec des couleurs Dupont, une marque de peinture utilisée par les firmes automobiles, telles General Motors et Cadillac. La guitare se décline en technicolor et devient une icône populaire, un objet d’art qui inspire quelques artistes contemporains.

Dans ‘From Here To Ear’, œuvre éphémère de Celeste Boursier-Mougenot, les guitares sont jouées par une population d’oiseaux et deviennent leur habitacle, produisant une musique aléatoire lorsqu’ils se posent sur les cordes de l’instrument. D’autres œuvres surgiront, fantasques et saugrenues, inspirées par la six cordes : ‘Not Yet Title’ (Cobain Guitar), de Banks Violette, John M. Armleder et ses furniture-sculpture. Emilie Pitoiset met en pièces une Statocaster pour exprimer la rupture dans ‘How To Explain’, tandis que Frank Gehry s’inspire de morceaux cassés de la guitare pour concevoir l’architecture extravagante du musée ‘Experience Mucic Project’ à Seattle.

Stratocaster et musique rock

Le rock s’approprie les idées de l’époque. Il devient un mode d’expression des idéaux et des revendications. La musique déferle comme un raz-de-marée. En même temps que la jeunesse acquière une voix, et peut soudain s’exprimer, elle devient un énorme marché.

Le rock anglais domine et va donner naissance à la musique pop. L’incroyable polyvalence sonore, dû à ses multiples combinaisons de micros et à son vibrato qui s’adapte à la personnalité du musicien, va conduire la guitare Stratocaster à devenir un emblème au royaume de la musique rock.

Fender et Gibson sont les deux marques de guitare qui se taillent la part du lion. Les musiciens les choisissent par référence musicale, mais aussi au feeling, par affinité formelle et sonore. La Les Paul de Gibson, au son plus granuleux, a une forme plus classique. La Stratocaster, futuriste, est caractérisée par un son cristallin.

En 1965, CBS rachète Fender, adoptant les processus de production qui défavorisent la qualité au profit de la quantité. Beaucoup de musiciens de l’époque s’en détournent, mais pas tous… Jimi Hendrix relance le mythe en faisant un usage complètement novateur de la Strato. Son impertinence et sa virtuosité vont faire de lui une icône indétrônable de la guitare électrique. Son utilisation de la technique du vibrato dite ‘dive bomb’, littéralement ‘bombe qui plonge’, est une allusion étonnante à la guerre du Vietnam, et restera dans les annales.

Dans les années 70, les marques se multiplient, et la délocalisation s’amorce. Des guitares aux formes extravagantes deviennent à la mode. La Flying V de Gibson, avec son apparence triangulaire, sera de celles-là. Comme les Stratocaster produites par CBS sont de moindre qualité, les musiciens se tournent vers des modèles vintages des premières années. Eric Clapton achète à Nashville un lot de Stratocaster et en offre à ses amis Peter Townshend, George Harrisson et Steve Winwood. La mode est lancée.

Bill Schultz et son ‘custom shop’

En 1985, Bill Schultz, engagé pour redynamiser les ventes, reprend Fender. Il va lancer une véritable usine à rêve, doublé d’une machine à remonter le temps, en inventant le ‘Custom Shop’. Le ‘Custom Shop’ capitalise sur le passé et la qualité. On y fabrique des guitares sur mesure aux desideratas des musiciens, mais aussi des reproductions fidèles des instruments mythiques des Dieux du rock : Jeff Beck, Burton, etc. Les détails sont travaillés avec les outils et les gabarits d’origine. Bill Schultz va jusqu’à racheter machines et moules originaux.

Le Custom Shop crée un nouveau concept. Il est possible d’acheter un instrument en version ‘relique’. La guitare est littéralement vieillie comme un jean ou un cuir vendue avec un aspect usé. Le même modèle est aussi proposé en version classique selon les caractéristiques d’époque, mais à l’état neuf.

La Stratocaster pour toujours

Révélatrice de tendance, la Stratocaster va traverser les époques sans prendre une ride en continuant à représenter une ouverture d’esprit et une nécessité à se faire entendre. Peu d’objets de consommation sont ainsi restés identiques pendant six décennies, inspirant les musiciens de génération en génération, comme Mattrach, un jeune prodige de Valenciennes, qui crée le buzz sur la Toile en interprétant à sa manière le Canon de Pachelbel ; ce qui lui vaudra d’enregistrer plus de 60 millions de clics.
La sirène magnétique au son clair et au vibrato légendaire continue à envoûter 50 ans après sa naissance. Sa force est restée intacte.

Sources : www.cadenceinfo.com – www.thomann.de – https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr

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