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En 1975, Jorge Ben et Gilberto Gil se connaissent déjà depuis près d’une décennie. L’admiration est réciproque. Entre la participation à des émissions de télé ou une collaboration sur « País Tropical » de Gal Costa, ils se croisent régulièrement. Le destin voudra que les deux hommes ne puissent travailler ensemble que sur ce seul album Jorge Ben Gilberto Gil, un peu grâce à un certain Eric Clapton ( !?).

Cette année-là, le producteur australien Robert Stigwood, alors propriétaire de RSO Records, est l’agent de l’un des guitaristes les plus emblématiques du moment : Eric « God » Clapton. Stigwood a l’idée d’emmener le musicien britannique au Brésil pour des vacances. Avant d’arriver, il appelle son ami André Midani, alors président de Phonogram, pour lui proposer une rencontre entre Clapton et ses poulains.


Jorge Ben Gilberto Gil

Un dîner est organisé chez lui avec divers poids lourds de la MPB : Caetano Veloso, Rita Lee, Erasmo Carlos, Nelson Motta, et même Cat Stevens sont présents, entre autres noms, dont Gil et Jorge. L’idée est de préparer une fête sous forme de jam avec Clapton. Tout le monde se retrouve assis par terre et commence à jouer. Dans son autobiographie, Midani se souvient :

Eric (Clapton) est arrivé avec une magnifique guitare blanche. Gil, Jorge et (Cat) Stevens étaient avec leurs guitares. Assis en cercle, Jorge, Gil, Stevens et Clapton entament une incroyable jam session. Cat Stevens est le premier à décroché. Peu après, c’est au tour de Clapton de lâcher sa guitare et de se transformer en spectateur fasciné. À tel point que Jorge et Gil jouent l’un face à l’autre, visitant d’étranges mondes musicaux inconnus pour moi, simple mortel qui regardait le concert comme un défi entre chevaliers africains du Moyen Âge. Gil improvise avec une virtuosité effrayante, tandis que Jorge, imperturbable, tient le rythme. Parfois, Gil s’emparait du rythme pendant quelques minutes, et Jorge le reprenait ; d’autres fois, ils tenaient le rythme ensemble. J’ai eu le sentiment qu’ils avaient littéralement fusionné… Je leur ai demandé d’aller en studio enregistrer cette incroyable collaboration artistique. De là est né l’album Gil e Jorge.

André Midani

Quelques jours plus tard, une session est calée avec Gil et Jorge, accompagnés de Wagner Dias à la basse, et Djalma Corrêa aux percussions et sous la supervision de Paulinho Tapajós et Perinho Albuquerque.

Jorge Ben Gilberto Gil
Jorge Ben Gilberto Gil

Les neuf titres enregistrés en une nuit mélangent le répertoire des deux chanteurs et quatre inédits témoignant de l’extraordinaire créativité du duo. Le percussionniste de cette session, Djalma Correa, a décrit le mieux l’atmosphère de cette session :

C’est un disque « Let’s go », spontané, totalement improvisé. Ce que j’aime le plus, c’est qu’il a exactement la saveur de la vérité, parce qu’à sa base, c’est une affaire d’erreur, d’imperfections. Mais, d’une certaine façon, il n’y en a pas. Cette préoccupation n’existe pas. Certaines erreurs ont conduit à de grandes découvertes sur ce disque. Jorge était très soucieux des erreurs, des négligences occasionnelles, disant : « Non, ce n’est pas bon… ». Et Gil, « Non, c’est bon, c’est fantastique ! Cette façon de faire de Gil, si relachée. C’est un grand moment, un grand disque. Tout a été enregistré en une seule séance. Une nuit entière – pah !

Djalma Correa

L’œuvre s’ouvre sur « Meu Glorioso São Cristóvão », une prière presque psychédélique en hommage au saint patron des routiers alors que « Nega », composé par Gil pendant son exil, symbolise l’essence même de la rencontre : la polyvalence de Gilberto et le rythme cadencé de Jorge ne faisant qu’un. .

Sur « Jurubeba », l’un des titres inédits, le triangle de Djalma marque le rythme typiquement nordestin alors que les paroles louent les différents bienfaits des plantes. « Quem Mandou (Pé na Jaca) », est un morceau de samba-rock signé Jorge Ben.

Jorge Ben Gilberto Gil
Jorge Ben Gilberto Gil

S’en suit le classique « Taj Mahal » (le même que celui plagié par Rod Stewart), revisité l’année suivante sur l’album de Jorge Ben « África Brasil » (1976).

Puis vient « Morre o Burro, Fica o Homem » (Meurs l’âne, reste l’homme), enregistré à l’origine par Jorge Ben en 1972, qui est ici trois fois plus long (plus de six minutes), avec un rythme différent, délaissant la version originale « swinguante » pour une version accélérée guitares/triangle.

Jorge est très audacieux, même s’il n’en a pas l’air. Musicalement, il est très libre. Je me souviens très bien d’un moment où nous avions préparé une de ses chansons pour l’enregistrer, nous étions là dans cette conversation « répétons la tonalité », nous avons commencé, « tá gravando ! », il a ordonné l’introduction, mais il est entré dans une autre chanson, il est entré dans Morre o Burro, Fica o Homem, qui n’était pas celle que nous allions enregistrer. Je l’ai suivi, nous avons tous suivi Jorge, et c’était comme ça. Vous pouvez donc constater le degré de liberté, d’improvisation et de détente des séances.

Gilberto Gil

L’interprétation de « Essa É Pra Tocar no Rádio », contraste avec la version jazzy-caipira enregistrée plus tard par Gilberto Gil dans « Refazenda », sorti la même année.

Gilberto Gil montre toute sa vitalité dans l’afoxé de « Filhos de Gandhi ». Le disque se termine par l’inédit « Sarro », signé par le duo et qui est la chanson la plus courte de la pièce, avec moins de deux minutes, mais elle n’a pas de paroles, seulement Gilberto Gil qui « joue » avec sa bouche et une base musicale en arrière-plan.

Jorge Ben Gilberto Gil
Jorge Ben Gilberto Gil

L’un des ingénieurs de cette séance, Joao Moreira, se souvient :

Jorge Ben s’asseyait sur une caisse pour battre le rythme. On mettait un micro en dessous, pour enregistrer le son. C’était magnifique ! L’album est entièrement acoustique : deux guitares, deux voix, percussion et basse. A une époque où le multipiste et la préoccupation de la quasi-perfection sont rois mais ont tendance à tuer toute spontanéité, comme c’est bon d’entendre deux musiciens interagir dans l’instant, se répondre l’un à l’autre.

Joao Moreira

Bien accueilli par la critique, l’album ne rencontrera pas le succès commercial mais le secret de l’œuvre est peut être la : l’absence de prétention à plaire au marché, à l’industrie phonographique en général. , en bref, à ne louer que les neuf titres du double LP avec presque une heure et demie de musique interprétée par ceux qui ont vécu le sommet de leur créativité.

La même année, Gil lancera le premier chapitre de la trilogie Refazenda, Refavela et Realce. Jorge, qui venait de sortir le chef-d’œuvre A Tábua de Esmeralda, conclut le non moins inspiré Solta o Pavão.

Sources : https://estilhacosdiscos.com.br/ – https://culturaefutebol.wordpress.com – liner notes
Gerald Seligman – https://marcelopinheiroreporter.wordpress.com

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CREDITS :

Enregistré en 1975 au CBD PolyGram studio – Rio De Janeiro, Brésil – Philips Records

Jorge Ben – voix, guitare acoustique
Gilberto Gil – voix, guitare acoustique
Djalma Correa – percussion
Wagner Dias – basse

DesignAldo Luiz, Rogério Duarte
Mastered ByJoaquim Figueira
Producer [Direction]P. Tapajós*, P. Albuquerque*
Technician [Recording]Ary*, João Moreira, Luigi*, Luis Claudio*

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