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Keith Jarrett, pianiste, compositeur, claveciniste, organiste, saxophoniste, flûtiste et percussionniste (Allentown, Pennsylvanie, 8 mai 1945). Le plus génial improvisateur que le jazz ait connu, avec Charlie Parker. Voilà la dimension de Keith Jarrett. D’abord l’Histoire, ensuite les contingences. La statue inaugurée, examinons les détails.

Les premières confirmations de la puissance d’expression du pianiste Keith Jarrett se trouvent entre 66 et 68 au sein du quartette de Charles Lloyd. En compagnie de Cecil McBee et Jack DeJohnette, Jarrett y apprend à faire danser le clavier. Déjà il le fait chanter à gorge déployée.

L’originalité du talent de l’accompagnateur-dynamiteur-ciseleur est souvent mise à contribution. Il répond aux sollicitations avec parcimonie : Art Blakey (1966), Miles Davis (70-71), Gary Burton, Freddie Hubbard, Charlie Haden, Kenny Wheeler, Paul Motian…

Keith Jarrett
Keith Jarrett

En 68-69, son premier trio (Charlie Haden-Paul Motian) fait entendre un pianiste presque fruste, économe, refusant les planismes, à l’instar d’un Paul Bley.

De 1972 à aujourd’hui, il déroule parallèlement à ses autres activités une carrière de pianiste solo (disques et concerts, improvisations et, depuis peu, standards). C’est ce Jarrett-là qui devait être célébrissime et prendre parfois des manières de star, suite aux millions de « Kôln Concert » vendus à travers le monde.

Pourtant, c’est ce soliste-là qui fait le plus aisément prendre conscience de la puissance créatrice de Keith Jarrett. Farouche partisan de l’indétermination, aucun thème, rythme ou harmonie préexistant à l’entrée en scène, Jarrett prend tous les risques.

Celui de longues minutes qui tournent à vide pour ménager la perspective sur des sommets de musicalité par lui seul atteint. Transe, grâce, possession de (et par) l’instrument, la musique de Keith Jarrett soliste (piano comme orgue) prend à bras le corps la folie de l’aventure, la sublime, déploie sa haine des conformismes, se jette à l’eau et en ressort incandescente.

Keith Jarrett
Keith Jarrett

De 1971 à 76, il promène à travers le monde un quartette osé, magnifique : Dewey Redman en goguette de chez Ornette Coleman, Haden et sa contrebasse profonde, Motian et sa violence contenue. Triomphes.

Il dissout le quartette « américain », persuadé d’être allé au bout de ce chemin et poursuit un quartette « européen » : Jan Garbarek, Palle Danielsson et Jon Christensen l’accompagnent dans des voyages hyper-mélodiques et sensitifs.

En pleine période Dylan (68), Keith Jarrett avait livré à Atlantic un album de re-recording baba-sans filet : chant, guitare, harmonica, sax, batterie, flûtes… Il ne cessera — musicien avant d’être pianiste — de s’exprimer, avec des bonheurs divers, à l’orgue, au clavecin, au sax-soprano, aux flûtes… Jardins secrets, secret du temple : les albums préférés de Jarrett lui-même sont précisément ceux-là.

Keith Jarrett
Keith Jarrett

L’homme est aussi compositeur — et interprète — de musique classique. Interprète d’hier (Bach) et d’aujourd’hui (Arvo Part, Alan Hohvaness, Lou Harrison), compositeur de musique soliste, de chambre ou symphonique.

Depuis 1983, Keith Jarrett dispose du plus beau trio piano-basse-batterie de la décennie : Gary Peacock et Jack DeJohnette, cordes graciles et peaux sensitives, sont à ses côtés pour une antithèse de Bill Evans. Bill laissait entendre trois voix et leur entrelacs ; Keith impose un seul discours — le sien — idéale- ment commenté. Quelque deux cents standards au répertoire des trois hommes, jamais sur le même tempo, la même tonalité, la même construction. Ce trio pourrait bien être l’exemple le plus abouti des ivresses de liberté dans un contexte formel.

Lorsqu’il ne parcourt pas le monde — il se fait de plus en plus rare — Jarrett vit et travaille en pleine forêt, à 120 kilomètres à l’ouest de New York. Deux Steinway (un américain, un allemand) et deux clavecins dans son studio ouvert sur les arbres. C’est en Amérique mais ce pourrait être l’Irlande, ou la Toscane ou le fin fond des Landes. Là, Jarrett travaille, vit, se ressource, prend le temps de penser sa musique. De penser la musique. Et lorsqu’il joue, le plaisir en lui submerge tout.

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