La bande originale de Bullitt, petit thriller policier parano de Peter Yates dont l’histoire retiendra surtout la prestation de Steve McQueen, est un modèle de raffinement mélodique, rythmique et harmonique. L’œuvre de Lalo Schifrin emprunte aussi bien au jazz qu’à la pop music, au blues qu’à la musique brésilienne. Avec cette bande son, Lalo Schifrin hisse les canons du scoring thématique et place haut la barre pour les B.O. à venir.
La popularité de Lalo Schifrin croît d’abord auprès du public des séries télévisées pour lesquelles il écrit des « scores » prestigieux : The Man from U.N.C.L.E., The C.A.T. ou Mission impossible. Cette dernière production notamment, pour la variété des thèmes, l’universalité de ses influences (jazz, musique latino-américaine, clins d’œil orientalistes, pop, musique orchestrée) devient une référence en matière de B.O., où chaque titre peut être apprécié séparément de la totalité, et illustrer parfaitement dans son ensemble l’atmosphère de la série.
Bande originale de Lalo Schifrin Bullitt
Après ce coup d’éclat, suivront les B.O. des séries télévisées Medical center, Starsky & Hutch, Planet of the apes, Mannix ainsi que des musiques de films (pour la plupart des thrillers) : Once a thief (1965), Murderer’s row (1965), The Cincinnati kid (1965), The Liquidator (1965) et Bullitt en 1968.
La première plage « Bullitt (Main Title) » plante le décor. Posée sur une ligne de basse funky, la mélodie principale est d’abord jouée à la guitare électrique, puis déclinée par les bois, les cuivres et l’orchestre tout entier jusqu’à la frénésie, avant une redescente en douceur.
Il est très important de décider quand la musique doit commencer et quand elle doit s’arrêter. J’aime saisir les instants clés d’une scène plutôt que de chercher à tout « couvrir » comme pour un dessin animé. Au cinéma, il me semble plus intéressant de capturer l’atmosphère générale d’une scène en une seule séquence-musicale brève mais dotée d’une accentuation marquante. Je pense que le silence a lui aussi son rôle à jouer. Il peut être aussi efficace que nécessaire. Je ne crois pas qu’il soit bon de vouloir à tout prix faire du remplissage sonore.
Lalo Schifrin
Dans Bullitt, je voulais éviter de révéler trop tôt l’identité du méchant, Richard Vaughn en l’occurrence. Pour cela, il aurait suffi de donner à entendre un thème spécifique à chacune de ses apparitions à l’écran, mais, alors, tout le suspens de la conspiration aurait été réduit à néant. Peter Yates a une approche très subtile des personnages et de leurs relations. Ainsi, il voulait que, très tôt dans le film, l’amour qui lie Steve McQueen et Jacqueline Bisset soit une évidence pour tous. Plutôt que de le faire de manière classique par le biais d’une scène suggestive, il transporte les personnages loin de l’intrigue policière, dans un bar où l’on joue du jazz. Le plus intéressant dans cette séquence est que l’on comprend tout sans que personne ne dise un mot : Yates filme les visages des amants puis se tourne vers les musiciens avant de revenir vers eux. Un seul regard suffit…
Lalo Schifrin
Mais le clou de Bullitt est sans doute le morceau Shifting Gears. Pour cette scène épique à travers les rues de San Francisco, le compositeur part du principe que le bruit des moteurs de voitures est une musique à part entière. Il choisit donc de n’illustrer que la phase d’approche, la filature au ralenti, dans l’un de ces crescendos dont il a le secret.
Une basse lancinante donne le tempo, tandis que les cordes jouent d’étranges arpèges sur des arrangements somptueux, jusqu’à l’irruption du beat de batterie, appuyé de saxophones plus groovy les uns que les autres.
J’ai composé quatre minutes que l’on entend avant le début de la course-poursuite. La tension musicale monte tandis que McQueen passe les vitesses, puis la course poursuite débute et… la musique s’arrête ! Ce ne sont plus que des effets sonores. Trop de musique aurait nui au film. Il aurait été ridicule de noyer l’action sous une musique pompeuse et hors de propos alors que tout, même à l’image, est minimisé. Un simple élément sonore permettant de rythmer était suffisant.
Lalo Schifrin
Parmi les autres joyaux de cette B.O., citons « Ice Pick Mike », un thème de poursuite qui se construit à partir du piano et des percussions pour devenir un instrumental jazz à part entière avec une section de cuivres enragées.
Ailleurs, Schifrin ralentit le tempo pour créer des instrumentaux luxuriants créant ainsi une ambiance légère sans perdre leur aspect jazzy : « The Aftermath of Love » superpose de douces lignes de trompette et de flûte à des rythmes adoucis par les cordes.
Version réenregistrée de Bullit par Schifrin en 2000 sur son label Aleph records
Grand classique du cinéma d’action, Bullitt doit beaucoup à la musique de Lalo Schifrin qui distille une ambiance jazzy tantôt douce, tantôt nerveuse, typique des montées d’adrénaline de ce polar urbain.
Lalo Schifrin a enregistré trois fois la musique de Bullitt : la première version est le score du film, la deuxième a été rejouée pour l’album commercialisé en 1968, et la troisième a été réenregistrée par Schifrin en 2000 sur son label Aleph records (la version la plus époustouflante).
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CREDITS :
Enregistré de septembre à décembre 1968 – Hollywood, Californie – Seven Arts Records
- Lalo Schifrin – arranger, conductor
- John Audino, Bud Brisbois, Tony Terran – trumpet, flugelhorn
- Milt Bernhart, Dick Noel, Lloyd Ulyate, Lew McCreary – trombone
- Bud Shank, Ronnie Lang, Gene Cipriano, Bill Perkins, Jack Nimitz – reeds
- Mike Melvoin – piano, organ
- Mike Deasy, Howard Roberts, Bob Bain – guitar
- Ray Brown – bass
- Carol Kaye, Max Bennett – electric bass
- Stan Levey – drums
- Larry Bunker – percussion
- Unknown strings
- Robert Helfer – orchestra manager
- Dick Hazard, George Del Barrio – arranger
Sources : www.cinezik.org - www.allmusic.com - www.qobuz.com