Africadelic (Manu Dibango), marmite bouillante d’un groove vaudou

Manu Dibango Africadelic – Enregistré en 1972 au Pathé-Marconi studio Paris – AMI Records
Parrain historique des musiques africaines contemporaines, le saxophoniste camerounais Manu Dibango est une légende des musiques modernes africaines. Né en 1933, il commence sa carrière comme jazzman en 1952 en Belgique, avant de prendre part à l’émergence des musiques modernes congolaises et camerounaises.

À partir de 1960, il se concentre sur ses racines africaines, tout en gardant à l’esprit les influences noires américaines. Il se fait un nom comme musicien de session à Paris. Dans les caves et les clubs, lui et son orchestre répètent leur grand soir. Il participe à de nombreux projets, jouant notamment avec Nino Ferrer.

Manu Dibango Africadelic

En 1972, il enregistre l’historique « Soul Makossa », un hymne proto-disco qui deviendra le premier grand tube africain international. Le morceau démarre en trombe en mettant l’accent sur la grosse caisse, bâti autour d’un rythme frénétique, d’un chœur monté en écho et du sax vigoureux de Dibango.

Avec les Guadeloupéens Joby Jobs à la batterie et Manu Rodanet à la tumba, les Zaïrois Gerry Makelani Bokilo à la guitare électrique, et Freddy Mars aux percussions, le Camerounais Long Manfred à la basse et les claviers français Patrice Galas et Georges Arvanitas, l’orchestre illustre un melting-pot musical idéal.

Manu Dibango Africadelic
Manu Dibango Africadelic

« Lorsque nous sommes ensemble avec mes musiciens nous appelons notre musique afro quelque chose. On me dit aujourd’hui qu’en Amérique, elle est appelée “soul d’ivoire noir” » résume alors Dibango.

« Soul Makossa » devient le premier tube africain en Amérique au cours de l’été 1973. Le succès du morceau est tel que pas moins d’une vingtaine d’artistes le reprennent, au rang desquels Babatunde Olantuji.

En septembre 1973, le critique Vince Aletti est l’un des premiers à identifier la naissance d’un nouveau phénomène et l’apport de musiques percussives sur la disco naissante:

“Soul Makossa” est l’un des exemples les plus étonnants et parfaits de cette musique de discothèque. Celle-ci se caractérise par une instrumentation et un son souvent afro-latin, avec un accent évident sur la batterie, des paroles presque inexistantes, parfois dans une langue étrangère et un refrain très présent sur les morceaux les plus connus, généralement les plus longs et les plus instrumentaux, joués par des groupes noirs qui ne sont généralement pas américains.

Manu Dibango Africadelic

Paru en 1972, l’album Manu Dibango Africadelic poursuit cette démarche. Il jette des ponts entre les percussions africaines d’Olatunji et le groove hypnotique de James Brown.

Mis en boîte en une semaine pour servir de fond sonore à des émissions de télé françaises en demande de son afro-urbain, le sens et la puissance du groove du Camerounais se chargent pourtant d’en faire autre chose qu’un simple album de commande.

Titres courts donc obligation d’aller à l’essentiel, pas le temps de faire une danse incantatoire avant le sacrifice de l’auditeur sur l’autel de l’Afro-Soul-Thing.

Plongée directe dans une marmite bouillante d’un groove vaudou et tribalement funk, scarification à grands coups de guitares, piétinement par un troupeau de cuivres massifs dont la fabrication a sans nul doute nécessité une immense partie de la production Zambienne de ce minerai, le bon déroulement du rite étant guidé par les percussions qui mènent au supplice ultime : l’empalement par les javelots-saxo du maitre des lieux.

Manu Dibango Africadelic

Ça, ce sont les trucs que je faisais en 1972 justement… A l’époque, on avait besoin de musique d’ambiance, il n’y avait pas d’instrumentaux rythmés. Il y avait Paul Mauriat, les machins à la trompette d’or, mais ça manquait de piment. Alors j’ai fait deux ou trois disques comme ça, “African Voodoo”, “Africadelic”, pour les radios, pour la télé, quand il y avait un reportage et qu’il fallait une musique d’illustration “africaine”, ou autre… Ces albums n’étaient pas faits pour le commerce. Mais dans celui-ci, on y entend que des fines lames ! A l’époque on disait que j’étais versatile. Mais moi, j’aime être versatile, au sens américain. (Manu Dibango)

Ce disque contient douze instrumentaux renversants, mêlant jazz, blues, samba, soul, calypso et biguine. Rencontre de percussions volubiles, de cuivres bouillonnants, de guitares électriques et de nappes d’orgues, ces morceaux furent conçus pour illustrer de possibles émissions de télévision et de radio, dans le même esprit qu ‘AfricanVoodoo, un autre album culte signé
Dibango.

Manu Dibango Africadelic

Africadelic fonctionne comme un brouet d’influences afro-cubaines, africaines et américaines, en adéquation totale avec l’époque, à l’image de guitares ouvertement inspirées par Shaft d’Isaac Hayes sur le bien nommé « Wa Wa ». La batterie robotique et la basse ondulante, les breaks inopinés, les effets d’échos, les explosions de cuivres et les roulements de percussions annoncent d’une certaine manière la modernité du disco.

Sur Cold Sweat, vous savez d’où vient le motif de cuivres ? D’un morceau de Miles Davis. C’est ça, le lien entre le jazz, l’Afrique, et le funk : passer du ternaire au binaire. On change un bout de phrase, et c’est parti ! Je suis content qu’ils ressortent ces trucs-là aujourd’hui – il n’est jamais trop tard… On a toujours l’impression qu’on n’a rien foutu, mais en réalité on a fait beaucoup ici. Oui, j’estime qu’on a fait beaucoup… (Manu Dibango)

Réédité par le label Hy & Fly, Manu Dibango Africadelic est de ces albums auxquels le sampling a conféré une réputation de graal à mesure que les exemplaires en circulation se raréfiaient augmentant par la même considérablement leur cote.

Source : www.allformusic.fr – https://allerlei2013riffmaster.wordpress.com

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