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C’est une histoire surprenante, Shuggie Otis, un “fils de” qui enregistre trois albums sublimes et s’évanouit. Exhumé par le leader des Talking Heads David Byrne, Shuggie Otis Inspiration Information, splendide LP de funk avant-gardiste marquera l’apogée de la fulgurante carrière musicale du prodige.

Encouragé par son père Johnny Otis, musicien de R&B californien, Shuggie commence à jouer de la batterie à 4 ans puis découvre la basse, le piano quelques années plus tard, et devient guitariste pro à 12 ans.

En 1968, il est crédité sur l’un des albums de son papa, The Johnny Otis Show Featuring Mighty Mouth Evans & Shuggie Otis. L’année suivante, c’est le musicien Al Kooper qui grave avec lui un album entier, Kooper Session. La tentation de prendre son envol devient de plus en plus irrésistible.


Shuggie Otis lnspiration Information

De très nombreux musiciens chantent les louanges du fiston, parmi eux Frank Zappa, avec lequel il enregistrera Hot Rats, et B.B. King qui le désigne comme son « nouveau guitariste favori ».

En 1970, il signe chez Columbia Records et enregistre son premier album, Here Comes Shuggie Otis. Il a seize ans. Sur son deuxième disque, Freedom Flight, figure la version originale de « Strawberry Letter 23 » qu’Otis écrit pour une petite amie qui lui envoie des lettres parfumées à la fraise.

C’est à cette même période que Billy Preston l’appelle d’Amsterdam. Les Rolling Stones cherche un remplaçant à Mick Taylor. Il refuse. « Je voulais faire ma musique, sans arrogance. Je n’avais pas conscience des enjeux. Je suivais juste mes envies ».

Confiant dans ses capacités de compositeur, il se permet de décliner des concerts avec les Stones, David Bowie, Billy Preston ou Buddy Miles. Il ne veut pas être side-man.

« J’aimais Miles Davis, John Coltrane, Pharoah Sanders, Tony Williams et des classiques comme Dexter Gordon. Je n’arrivais pas à choisir. » B.B. King, Otis Rush et Buddy Guy faisaient aussi partie de mes héros. J’étais aussi fan du groupe L.T.D, de son chanteur, Jeffrey Osborne. Ma musique embrassait toutes ces influences… Tout me passionnait »

Shuggie Otis
Shuggie Otis

Pour son troisième opus, le jeune Shuggie Otis se lance dans une entreprise un peu folle : enregistrer lui même tous les instruments. C’est dans cet album que sa créativité débridée, proche de celle d’un Prince ou Stevie Wonder, s’exprime le mieux.

Je voulais tout réaliser moi-même. J’avais fait des arrangements et des musiques de film, mais je n’avais pas idée du genre de boulot que j’avais entrepris.

Shuggie Otis

Produit sur trois ans dans le studio paternel à Los Angeles, « Shuggie Otis lnspiration Information » est un album mélancolique conçu comme une symphonie, un mélange de musique classique (il vénère Debussy, Ravel, Satie et Beethoven) et de funk.

J’ai eu l’étrange idée de mélanger du classique et du funk. Je voulais même aller plus loin. Le concept du disque était de parler de l’amour de la musique et de l’amour de la vie.

Shuggie Otis

L’album est aussi une synthèse du rock noir, du blues et du rock blanc. Un Pet Sounds chanté par Marvin Gaye en quelque sorte.

Le mélange de rock blanc et de rock noir m’attirait énormément. Sly avait un groupe ethniquement mixte et ça me plaisait, moi qui étais métisse. J’écoutais du jazz, du R’n’B, de la variété, du rock psychédélique à la radio.

Shuggie Otis
Shuggie Otis lnspiration Information
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Autre particularité de l’album, l’utilisation d’une des toutes premières boîte à rythmes.

J’en avais vu une dans un magasin d’instruments mais je ne l’avais pas essayée. Et puis quand je suis entré en studio, un ingénieur du son m’a dit que Sly Stone en utilisait une, alors du coup je suis allé l’acheter, ah ah ! Il s’en servait avant tout comme d’un métronome sur les chansons de sa petite sœur, puis sur les siennes. Et il a fini par ajouter le son sur les chansons elles-mêmes, comme « There’s A Riot Goin’ On », l’exemple parfait; un de mes albums préféré de tous les temps. Donc j’ai acheté la fameuse boîte à rythmes Rhythm King, ainsi j’avais mon batteur perso 24 heures sur 24, qui me gardait le tempo dès que j’en avais besoin. Et ça m’a beaucoup aidé pour l’écriture des morceaux. On bidouille avec et on se retrouve avec des chansons. Moi, c’est ce que j’ai fait. Je joue de tous les instruments, j’utilise le Rhythm King comme métronome et je le laisse parfois au mix.

Shuggie Otis

Aussi aventureux que Sly Stone, Shuggie incorpore des rythmiques programmées, découvre des territoires musicaux vierges, compose des titres audacieux comme « Island Letter » et « Not Available ». Il n’a que vingt ans, et une grande carrière lui est promise.

shuggie otis inspiration information
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Inspiration information pourrait être l’alter ego optimiste de There’s a riot goin’ on ou de Fresh !, une œuvre sereine, fluide, dénuée de toute amertume sociale et narcotique. Mi-vocales, mi-instrumentales, les neufs compositions se déroulent majestueusement comme une suite de songes impressionnistes s’évanouissant dans les cieux californiens.

Shuggie Otis baignait manifestement dans un état de grâce : les arrangements orchestraux dépassent en finesse ceux de Curtis Mayfield (Rainy day), sa voix angélique rivalise de fragilité avec celle d’Aaron Neville et les bijoux d’innocence pop-soul que sont Sparkle city et Happy house viennent narguer la suprématie d’un Sly Stone sur le déclin.

Shuggie Otis lnspiration Information
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Sa distance prise avec l’industrie et ses subtilités commence à lui nuire. En effet, quand sort Inspiration Information, son label a déjà perdu patience et ne fera pas grand-chose pour le défendre.

Peu de temps après la sortie d’Inspiration Information, ma maison de disques m’a largué.  Mon père m’a appelé un soir et m’a demandé de m’asseoir. Il s’était fait aussi larguer par sa maison de disques deux semaines plus tôt. Il m’a dit : « Ils viennent de te virer. » Il pensait que j’allais pleurer, mais en réalité, je n’en avais rien à foutre. So what ? J’étais persuadé que j’allais signer un nouveau contrat avec quelqu’un d’autre dans les 15 jours.

Shuggie Otis

Il ponctue cette dernière sentence rétrospective d’un rire sardonique, comme s’il revoyait l’instant où une malédiction fracassa sa carrière et fit basculer son destin. Car aucune maison de disques ne lui ouvrira les bras. « À un moment des amis m’ont dit : « Tu es blacklisté, man ! » ».  Une traversée du désert qui durera 40 ans.

On doit sa redécouverte au leader des Talking Heads David Byrne qui a réédité « Inspiration Information » sur son label Luaka Bop.

Samplé de toute part, officiellement, par Outkast (sur le tubesque « Miss Jackson ») et largement officieusement, mais a aussi considérablement influencé le travail de D’Angelo, DJ Shadow, Cody Chesnutt, Michael Kiwanuka…

Sources : www.discogs.com – https://pitchfork.com – www.somewherethereismusic.com – www.nova.fr

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CRÉDITS :

Enregistré en 1974 au Hawk Sound And Columbia Studios (Los Angeles) – Epic Records

  • Shuggie Otis : Production, arrangements, Guitare, Basse, Orgue, Piano, Vibraphone, Percussion
  • Jeff Martinez : French Horn
  • Carol Robbins : Harp
  • Jack Kelso* : Saxophone, Flûte
  • B. Porter*, B. Asher*, D. Jones (2), J. Parker, L. Rosen*, M. Zeavin*, N. Roth, S. Boone*, T. Ziegler : Ensemble symphoniques –
  • Doug Wintz, Jim Prindle : Trombone
  • Curt Sleeten*, Ron Robbins : Trompette
  • Bobby Bloom, Johnny Otis, Nicky Otis, Robb DiStefano : Ingénieurs du son

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