Figure emblématique du pop-funk des 70’s, le nom d’Eumir Deodato reste indéfectiblement associé à sa reprise d’Also Spracht Zarathoustra, de Richard Strauss issu de son premier LP pour le label CTI. Enregistré à New York en trois jours en Septembre 1972, cet album capture de façon outrageante le feeling des 70’s des rythmes à la fois latins et jazz, les faisant fusionner dans un but hautement artistique, mais en passant par l’entrée pop.
Quand il décolle pour New York en 1967 à seulement 25 ans, le précoce Deodato est déjà un nom qui circule dans le milieu de la bossa nova. En solo ou avec son groupe Os Catedraticos, il compose, interprète, arrange, produit, maîtrise tous les aspects de son art. Derrière son orgue Hammond ou un simple piano acoustique, il est déjà à la croisée des genres et son phrasé bossa intègre jazz et prémices d’un funk light.
Eumir Deodato Prelude
A New York, il rencontre le producteur Creed Taylor qui l’engage comme arrangeur sur album Beach Samba d’Astrud Gilberto. Leur entente est telle que le patron du label CTI lui confie de plus en plus d’arrangements. Deodato travaille alors pour les plus grands noms de la soul et de la bossa-nova : Tom Jobim, Walter Wanderley, Aretha Franklin (Let me in your life), Frank Sinatra (Sinatra & Co.), Tony Bennett et Roberta Flack (Killing Me Softly, Chapter et Quiet Fire). Il travaille également auprès des plus grands noms du jazz : Paul Desmond, Wes Montgomery, Ray Bryant et Stanley Turrentine.
Fin des 60s, Eumir découvre le piano électrique, en particulier le Fender Rhodes. Il en devient fan (il en détiendra jusqu’à 4 dans son appartement) et communique rapidement cette passion à ses compatriotes Marcos Valle, Joao Donato et Antonio Carlos Jobim (sur l’album Stone Flower en 1970).

Il revient au Brésil en 1972 pour graver Percepçao le disque de la transition entre la bossa-nova de son enfance et le jazz-funk contemporain : un album étrange et fascinant qui met en exergue ses talents d’arrangeur et compositeur, ainsi que ses goûts partagés entre Nova York et Rio.
Mais c’est réellement en 1973 qu’Eumir Deodato retrouve la boulimie créatrice de ses débuts : il va enregistrer cinq albums en l’espace d’un an. Tout d’abord sur le label brésilien Equipe, avec son premier groupe Os Catedraticos.
Puis l’album qui passe son statut de musicien à celui de pop star : Prelude et son audacieux arrangement d’Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss (le thème original du film de Stanley Kubrick « 2001, A Space Odyssey »). Le succès est tel qu’il en vend 5 millions de copies.
Quand j’ai commencé à travailler sur ce morceau en tonalité de Do, je me suis servi d’une vieille mélodie également en tonalité de Do que j’avais écrite à 15 ans. Je l’ai utilisée comme contrepoint. Ensuite, j’ai demandé à Ron Carter d’apporter à la session d’enregistrement cette basse qui a une corde supplémentaire en Do. Tout collait parfaitement et nous avons fait une bonne première prise. J’ai insisté pour faire une deuxième prise, mais nous n’avons pas obtenu la spontanéité de la première. Quand le single est sorti, Creed a raccourci la piste de neuf à cinq minutes, et boom !
Eumir Deodato

Pour l’anecdote Also Sprach Zarathustra laissera bouche bée Herbie Hancock qui, grand consommateur de feijoada dans l’appartement new yorkais de Deodato, lâchera sa cuillère pleine de haricots et de porc en l’écoutant, pour aller former illico ses Headhunters ! Deodato narrera sa surprise de voir débarquer quelques semaines plus tard Herbie, qui devait jouer en formation jazz acoustique en première partie de l’un de ses concerts, flanqué d’un groupe funk !
« Spirit of Summer » est une ballade écrite par Deodato en 1968 pour participer à un Concours : le Festival International de la Chanson de Rio de Janeiro. Le premier enregistrement de Deodato apparaît sur un album qu’il a enregistré début 1972 pour le l’album « Percepção ». Cette version studio pour CTI comprend des solos de Jay Berliner (sur un phrasé de guitare acoustique teinté d’espagnol) et Hubert Laws à la flûte, avec Deodato au piano acoustique et une utilisation somptueuse des deux cors français.

« Carly & Carole » – Titrée en hommage à Carly Simon & Carole King, a également déjà été enregistrée par Deodato sur l’album « Os Catedráticos 73 », le dernier qu’il avait enregistré au Brésil avant de signer avec CTI, mais sorti seulement après le grand succès de « 2001 ». Cette version enregistrée au studio de Van Gelder avec la section rythmique (Ron Carter, Billy Cobham, Ray Barretto) et Hubert Laws à la flûte, était également une première prise, avec l’un des meilleurs solos de Deodato sur un piano électrique Fender Rhodes.
« Baubles, Bangles and Beads », un autre morceau de l’équipe légendaire des compositeurs « operetta » Robert Whright & George Forrest, qui a adapté la mélodie d’une pièce classique du compositeur russe Alexander Borodin. Frank Sinatra en a fait un standard pop sur l’album « Francis Albert Sinatra & Antonio Carlos Jobim » en 1967. L’arrangement de Deodato n’utilise pas le beat bossa nova adopté par Claus Ogerman pour Sinatra, optant pour un traitement funky-rock-pop basé sur un beat propulsé par Ron Carter (son seul morceau sur cet album à la basse électrique !) et Billy Cobham. Les solos sont de Deodato et John Tropea.

« Prélude à l’après-midi d’un faune » de Claude Debussy est inspiré d’un poème de Malarmé. Deodato l’a adapté d’une manière très sophistiquée, mélangeant pianos acoustiques et électriques, donnant la place de soliste à ses vieux amis Marvin Stamm à la trompette et Hubert Laws à la flûte, ainsi qu’au magnifique et chaleureux son de Ron Carter à la basse acoustique. L’écriture de la section cordes est également remarquable, très subtile et efficace.
Pour « 13 septembre », pendant la pause, Billy Cobham est assis à la batterie, faisant ce beat sympa… Je lui dit : « Ça a l’air sympa, pourquoi ne pas y jouer quelque chose ? » Puis j’ai dit au bassiste et au guitariste John Tropea : « Faisons quelque chose en La mineur…et demandé à Rudy d’enregistrer. J’ai pris les bandes chez moi et les ai écoutée attentivement, la batterie casse, le nombre de mesures, etc. et j’ai trouvé la mélodie. Donc quand vous l’entendez, la batterie joue la mélodie à chaque fois. Et comme nous ne pouvions pas trouver d’autre titre, j’ai suggéré le 13 septembre, date de la session, ».
Eumir Deodato
Il gravera deux autres albums pour CTI : Deodato 2, la suite de Prélude et Deodato/Airto In Concert, issu d’un live au Madison Square Garden où il est accompagné de la dream-team du label. Et comme si l’appétit musical du monsieur n’était pas rassasié, il rejoint son ami Joao Donato sur ce qui sera l’un des chefs-d’œuvre du jazz-funk : l’album Donato-Deodato sur le label new-yorkais Muse.

Commence alors en cette fin d’année 1973 une tournée de sept ans à travers le monde, entrecoupée de séjours dédiés à l’enregistrement d’albums estampillés jazz-funk : Whirlwinds en 1974 ; First Cuckoo en 1975 ; Very Together en 1976 contenant des interprétations des thèmes Peter Gunn et Star Trek ; Love Island en 1978 qui marque le début de sa collaboration avec les musiciens de Earth, Wind & Fire ; Knights Of Fantasy en 1979 ; Night-Cruiser en 1980 contenant une version de Mr Funky-Samba de Banda Black Rio avec des membres de Platinum Hook et Kool & The Gang.
Redécouverts par nombre de Djs, ses albums sont désormais presque tous réédités pour le plus grand bonheur de ses fans et des bricoleurs avides de grooves à sampler, sans omettre la tribu des adorateurs du Fender Rhodes, dont il reste le plus brillant praticien avec son petit camarade Herbie.
Sources : http://rock6070.e-monsite.com – www.djouls.com – www.wegofunk.com – www.jazzitalia.net – www.eumirdeodato.com – www.qobuz.com
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CREDITS :
Enregistré les 12-14 septembre 1972 au Van Gelder Studios – New Jersey USA – CTI Records
- Eumir Deodato – piano, electric piano
- Ron Carter – electric bass (solo on « Baubles, Bangles and Beads »), bass
- Stanley Clarke – electric bass (solo on « Also Sprach Zarathustra (2001) »)
- Billy Cobham – drums
- John Tropea – electric guitar (solo on « Also Sprach Zarathustra (2001) », « Baubles, Bangles and Beads », « September 13 »)
- Jay Berliner – guitar (solo on « Spirit of Summer »)
- Airto Moreira – percussion
- Ray Barretto – congas
- Hubert Laws – flute (solo on « Prelude to Afternoon of a Faun »)
- John Frosk; Marky Markowitz; Joe Shepley – trumpet
- Marvin Stamm – trumpet (Solo on « Prelude to Afternoon of a Faun »)
- Wayne Andre; Garnett Brown; Paul Faulise; George Strakey; Bill Watrous – trombone
- Jim Buffington; Peter Gordon – french horn
- Phil Bodner; George Marge; Romeo Penque – flute
- Max Ellen; Paul Gershman; Emanuel Green; Harry Lookofsky; David Nadien; Gene Orloff; Eliot Rosoff – violin
- Emanuel Vardi; Al Brown – viola
- Harvey Shapiro; Seymore Barab; Charles McKracken – cello
- Producer: Creed Taylor
- Arranged and conducted by Eumir Deodato
- Engineer: Rudy Van Gelder
- Recorded at Van Gelder Studios