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Sorti en pleine période free, « Thembi », nommé ainsi en hommage à sa femme sud-africaine, est le quatrième album du multi-instrumentiste Pharoah Sanders pour le label Impulse!. Le saxophoniste y repousse encore les limites du jazz, en y intégrant des éléments venus d’ailleurs, et d’Afrique en particulier : saxophone ténor, alto et soprano, flûte alto, fifres, bailophone, sanza (piano à pouces africain), corne de vache. Le contrebassiste Cecil McBee y est même crédité sur une plage de « sifflets d’oiseaux », et le pianiste Lonnie Liston Smith expérimente pour la première fois le Fender Rhodes dont il tire un morceau composé durant les balances : « Astral Traveling ».

À la fin de l’année 1970, Pharoah Sanders n’est plus l’inconnu ou presque qui six ans plus tôt rejoignait son mentor John Coltrane, et du même coup le label Impulse!. Après avoir gravé quelques monuments avec le messie de l’amour suprême, le disciple saxophoniste signe des albums sous son nom, se distinguant par une volonté d’embrasser des musiques hors du jazz.

Pharoah Sanders Thembi

L’initial Tauhid, avec sa suite Upper and Lower Egypt et son détour vers le Japan fournit de premiers indices, qui se confirmeront au fur et à mesure des enregistrements, à commencer par Karma, et son hymne The Creator Has the Master Plan.

De jazz, il est question, mais au-delà même des questions de free et de tradition, le natif de Litlle Rock (Arkansas) incline à créer une bande-son qui intègre de nombreux éléments exogènes. L’Afrique dans cette poétique de l’intégration a bien évidemment une place de choix chez celui dont le nom de scène fait référence aux anciens maîtres de l’Égypte, alors même que Cheikh Anta Diop professe cette histoire, divergente des manuels officiels.

Pharoah Sanders Thembi

C’est dans cette perspective d’horizons toujours plus ouverts que se situe cet album, fruit d’une session à Los Angeles (25 novembre 1970) puis New York (le 12 janvier 1971), dédié à Nomathemba Sanders (Thembi, pour les intimes), la femme sud-africaine de Pharoah dont le prénom signifie en langue xhosa « amour, foi et espoir ».

Vaste programme que Pharoah se charge de mettre en musique à travers six thèmes hantés par l’Afrique et la spiritualité des ancêtres.

D’emblée, l’introductif « Astral Traveling » nous invite à méditer, tempo ralenti, basse pendulaire et jungle de sifflets et petites percussions, avec le doux souffle du maître de céans qui contraste résolument par le cri venu des entrailles, typique de Sanders, en ouverture du puissant « Red, Black and Green ».

Sur Thembi, c’était la première fois que je touchais un piano électrique Fender Rhodes. Nous sommes arrivés au studio en Californie – Cecil McBee a dû déballer sa basse, le batteur son kit, Pharoah ses cuivres. Tout le monde avait quelque chose à faire sauf moi. J’ai vu cet instrument dans un coin et j’ai demandé à l’ingénieur : « Qu’est-ce que c’est ? » Il a répondu : « C’est un piano électrique Fender Rhodes. Je n’avais rien à faire, alors j’ai commencé à le tripoter, voir les sons que je pouvais en tirer. J’ai commencé à écrire un thème et tout le monde s’est précipité pour dire : « Qu’est-ce que c’est ? ». Et j’ai dit, ‘Je ne sais pas, je m’amuse juste un peu.’ Pharoah a dit, ‘Mec, il faut qu’on enregistre ça. Comment tu vas l’appeler ? J’avais étudié les projections astrales et on avait l’impression de flotter dans l’espace, alors j’ai dit qu’on allait l’appeler ‘Astral Travelling’. C’est comme ça que j’ai découvert le piano électrique.

Lonnie Liston Smith
Pharoah Sanders Thembi

Une fois passée cette phase, l’auditeur replonge dans une dense introspection avant d’être baigné dans le groove du contrebassiste Cecil McBee, totémique pilier de ces années-là, et du batteur Clifford Jarvis, icône du jazz libre. Ajoutez à cela la présence du violoniste Michael White dont les traits rappellent les pizzicati du bon vieux fiddle et un solo de piano imbibé de blues de Lonnie Liston Smith, et vous savez que vous tenez là une pièce magistrale, qui donnera son titre à cet album.

Quant à l’autre face, elle débute par Love, thématique récurrente chez Sanders indubitablement marqué par A Love Supreme, même si ce thème de Cecil McBee est l’occasion d’un hypnotique solo (doigté, archet, liberté, tout y est) de plus de cinq minutes, parfaite rampe de lancement pour la pièce centrale de ce LP.

Morning Prayer, un groove qui s’immisce peu à peu, improvisation funky d’un piano, tapis de percussions (parmi les quatre, Chief Bey et Majid Shabazz…) et batterie au diapason, tenue de main de maître (Roy Haynes), et pour clore cette séquence des plus intenses, le souffle pharoanesque, en vrilles envoûtantes.

Pharoah Sanders Thembi
Pharoah Sanders Thembi

Le titre conclusif, « Bailophone Dance », est l’occasion d’une ultime apnée au beau milieu d’une jungle percussive de laquelle surgit le growl du ténor et les volutes de flûte. Trippant et tribal !

Le jazz modal y fusionne avec le chaos free et l’héritage des fanfares, du blues et des musiques du monde (auxquelles il emprunte toutes sortes d’instruments).

Bénéficiant d’une ample orchestration, ses grandes compositions, généralement étirées sur une face entière, reposent sur une structure très simple : un bref motif développé sur un schéma harmonique restreint, un solo mélodique interrompu par un tohu-bohu de rugissements d’où renaîtra le motif initial, menant à une sorte d’apothéose extatique destinée à délivrer un message inamovible : l’univers n’est qu’amour.

Pharoah Sanders Thembi
Pharoah Sanders Thembi

En quarante-deux minutes, Pharoah Sanders signe un manifeste afrojazz, tel qu’annoncé en sa couverture. Ce n’est ni le premier et encore moins le dernier de la production du saxophoniste qui signera la même année un explicite Black Unity sur le même label, puis Village of the Pharoahs en 1973 et Elevation en 1974.

Sources : https://pan-african-music.com – www.Qobuz.com – www.lemonde.fr – www.radiofrance.fr – www.telerama.fr – www.discogs.com

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CREDITS :

Enregistré les 25 novembre 1970 et 12 janvier 1971 aux Record Plant de Los Angeles et New York (USA) – Impulse Records

  • Alto Saxophone, Tenor Saxophone – Pharoah Sanders (pistes : A1 to A3, B2, B3)
  • Bass – Cecil McBee
  • Bells, Percussion – Pharoah Sanders (pistes : A1 to A3)
  • Cymbal [Finger], Percussion – Cecil McBee (pistes : A1 to A3)
  • Drums, Bells, Maracas, Percussion – Clifford Jarvis (pistes : A1 to A3)
  • Electric Piano [Fender Rhodes], Claves, Percussion – Lonnie Liston Smith (pistes : A1 to A3)
  • Engineer [Assistant] – Lillian Douma, Tom Flye
  • Photography By, Design – Philip Melnick
  • Piano – LL Smith* (pistes : A1 to A3, B2, B3)
  • Producer – Ed Michel
  • Producer, Engineer – Bill Szymczyk
  • Violin, Percussion – Michael White (2) (pistes : A1 to A3)
  • Written-By – Cecil McBee (pistes : B1), LL Smith* (pistes : A1, B2), Pharoah Sanders (pistes : A2, A3, B2, B3)

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