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Cold Fact, produit en 1969 et sorti l’année d’après sur un tout nouveau label subsidiaire de Buddah Records, Sussex, fut un des plus obscurs bides et l’un des disques les plus rares de la période. Même pas rare, en fait, puisque personne ne le cherchait, ne figurant sur aucune «liste» de collector.

Sixto Rodriguez Cold Fact, immédiatement coulé dans l’oubli au fond du lac Erié, tout comme son successeur, le deuxième LP de Sixto Rodriguez, Coming From Reality. Partout, sauf en Afrique du Sud, où le disque, sorti sur Gallo Records, fit un tabac auprès des jeunes Blancs, moins dessalés ou blasés que leurs équivalents yankees.


Sixto Rodriguez Cold Fact

Surnommé Jesus Rodriguez, rien que ça, les mélomanes africains sont longtemps les seuls au monde à posséder une compilation CD de Cold Fact et Coming from Reality, avant une réédition des deux albums en 2008 et 2009.

En 1970, en pleine répression politique et culturelle, on pouvait encore s’obnubiler sur des paroles de I Wonder («Je me demande combien de fois tu as baisé/Et je me demande si tu sais qui va être le prochain»), ou sur les références aux drogues tous azimuts de Sugar Man. Jumpers, coke, sweet Mary Jane.

Le Donovan basané de Detroit ne parlait pas de blousons ni de boissons gazeuses. Si bien que Cold Fact, disque inconnu en Europe et en son pays d’origine, était aussi familier des foyers afrikaners que Jimi Hendrix.

Sixto Rodriguez Cold Fact
Sixto Rodriguez Cold Fact

En 1970, alors que les Beatles étaient toujours interdits d’antenne sur le territoire, on se faisait un devoir civique de posséder l’album Woodstock, ou ce «Hurdy-Gurdy» Sixto Rodriguez et ses «silver magic ships».

Comment cet artefact a finalement remonté le long fleuve tranquille de notre ignorance jusqu’à devenir un disque cool pour hipsters et DJs australiens nous est admirablement conté par les gens de Light in the Attic Records, les futés de Seattle qui ont lâché les Black Angels sur un monde occidental qui n’en demandait pas tant, et ressorti d’autres pépites des années 70, comme la déesse dorée funk Betty Davis.

Sixto Rodriguez Cold Fact
Sixto Rodriguez Cold Fact

Juste quand on croit avoir affaire à un troubadour déjanté (Sugar Man), affligé des gimmicks de productions de l’époque (sifflets à eau, mellotron), on se fait matraquer par les guitares lysergiques de Only Good for Conversation, pur orgasme psychédélique.

Ce disque est une glissade sur montagnes russes sonores : on passe du protest song sur fond de trompettes Herb Alpert, à la harangue plus franchement talking-blues dylanesque, via la guimauve insauvable (Forget It), le tube incontournable Mamas & Papas (Inner City Blues), le folk-rock jingle-jangle (Like Janis), etc.

La voix de Sixto Rodriguez est aussi coupante et métallique que ses cordes de guitare sèche, tantôt une sorte de José Feliciano méchant (And Frankly I Couldn’t Care Less), tantôt le braiment Donovan aussi irrésistible que la ligne de basse (I Wonder). Tout ça produit par deux requins de studio de Motor City pour un entrepreneur noir, Dennis Coffey.

Sixto Rodriguez Cold Fact
Sixto Rodriguez Cold Fact

Mike Theodore, arrangeur et pianiste sur des trucs comme Rare Earth, habille la pépite avec goût et un sens très sûr de la variété, au sens noble du terme. Coffey se rappelle seulement que Rodriguez ne jouait jamais dans les clubs normaux de Detroit, mais dans les pires chiottes, des endroits à mourir comme The Sewer (l’égout). Et qu’il tournait toujours le dos au public. La moindre des choses, pour quelqu’un qui clôt son disque par le prémonitoire : «Merci pour votre temps. Maintenant vous pouvez me remercier pour le mien. Et cela dit, forget it. BAG IT, MAN.»

© Philippe GARNIER pour Libération

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CREDITS :

Enregistré en août et septembre 1969 – Detroit (USA) – Sussex records

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