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Fruit d’une session marathon en compagnie des pionniers de la musique synthétique Malcom Cecil et Bob Margouleff, la paire de techniciens va concevoir avec Stevie Wonder près de deux cents départs de morceaux durant une période de douze mois. La crème de ces maquettes deviendra Music Of My Mind, un album révolutionnaire sorti en 1972, neuf chansons qui témoignent d’une autonomie mais aussi d’une époustouflante phase créative.

Le jour de ses 21 ans, Berry Gordy organise une soirée d’anniversaire somptueuse. Avec quelques arrière-pensées : le contrat qui lie Stevie à la firme de Gordy se termine, et il compte bien continuer à gérer son poulain. Stevie joue la montre, il ne signe rien. Gordy finira par céder au jeune artiste ses droits d’édition, tout en lui laissant le plein contrôle artistique sur son œuvre, et en ajoutant un million de dollars de royalties rétrocédées. Depuis ce jour de printemps en 1971, Stevie n’a jamais quitté la Motown, et y a fait à peu près ce qu’il a voulu.


Stevie Wonder Music of my Mind

Depuis ses dix-huit ans, le multi-instrumentiste surdoué a emmagasiné plusieurs dizaines de titres inédits, dont « Superwoman (Where Were You When I Needed You ?) », « Keep On Running », le folk lumineux de « Happier Than The Morning Sun » et l’introduction vocodée de « Love Having You Around ».

Les chansons lui viennent dans un flux constant. Pour les mettre en forme, il a déniché des complices particulièrement inattendus, Robert Margouleff et Malcolm Cecil, deux jeunes hippies blancs, dingues d’électronique, qui ont mis au point l’un des premiers synthétiseurs, baptisé Tonto (pour The Original New Timbral Orchestra, mais aussi «fou», en espagnol).

Toujours en quête des sonorités qui pourraient lui donner un train d’avance, Stevie Wonder a débusqué le tandem dans le sous-sol d’une ancienne église convertie en studio d’enregistrement. Les câbles et les modules de leur machine infernale occupent une pièce entière.

Stevie Wonder Music of my Mind
Stevie Wonder Music of my Mind

Malcolm Cecil a passé ses années de formation à enregistrer avec Blues Incorporated, un groupe de blues basé à Londres. Par la suite, il a élargi ses compétences au sein de la Royal Airforce en tant qu’ingénieur technique, puis en tant qu’ingé son pour les productions musicales de la BBC.

Robert Margouleff, lui, a une connaissance impressionnante des synthétiseurs électroniques. Il a été le Moogist en résidence aux studios Media Sound. Ami du créateur du synthétiseur Moog, Robert Moog, il a apporté un éclairage précoce sur la conception de l’instrument.

Le chanteur comprend immédiatement qu’elle peut propulser sa musique dans une autre dimension. «Les musiciens se méfient du synthétiseur, dit-il, ils pensent qu’il va leur voler leur boulot. Je crois, au contraire, que c’est un formidable instrument qui permet d’exprimer directement toutes les images qui viennent à l’esprit. »

Fulfillingness First Finale
Stevie Wonder Music of my Mind

Wonder s’enferme des nuits entières avec ses deux acolytes, qui le poussent à formuler les idées les plus folles et inventent des circuits électroniques pour doter d’un tranchant singulier sa voix et son jeu de piano. Ils enregistrent sans fin, produisant près de deux cents chansons, matière brute d’une poignée d’albums révolutionnaires.

À l’origine, Malcolm devait jouer de la contrebasse sur toutes les chansons.

Au départ, il voulait que je joue de la contrebasse sur les deux premières chansons. J’ai essayé, je ne trouvais pas que ça sonnait bien, et je lui ai dit, ‘C’est pas le bon son, c’est trop Jazz. Ce que tu fais, c’est pas du Jazz. C’est plus du R&B que du Jazz, pour moi. C’est pas le même son de basse.’ Il m’a répondu, ‘Tu peux faire le bon son ?’ J’ai dit, ‘ Met toi au synthé.’ Et on a trouvé un son de basse sur le synthé, il a adoré, » (Malcolm Cecil)

Stevie a fini par tout jouer à l’exception d’un solo de l’ex-guitariste de Butterfield Buzzy Feiton sur « Superwoman » et un solo de trombone d’Art Baron sur Love Having You Around. Wonder écrit, arrange et produit tout l’album. Véritable one-man band multipistes, il joue de tous les instruments : piano, batterie, harmonica, orgue, clavicorde, clavinet, synthétiseurs Arp et Moog.

Quand Bob et moi installions quelque chose en studio, comme des micros ou une batterie… Stevie s’ennuyait. Alors il s’asseyait au piano et commençait à jouer, à chanter. J’avais toujours une cassette IPS qui enregistrait tout ce qu’il faisait. Tout ce qu’il chantait et jouait se trouvait sur ces bandes. On revenait dessus ensemble, on en prenait des fragments et on disait : « C’est une super chanson. » C’était une grande partie de ce que nous considérions comme notre travail de direction artistique. (Malcolm Cecil)

Stevie Wonder Music of my Mind
Stevie Wonder Music of my Mind

« Love Having You Around », premier single tiré du LP, réussit malgré un excès d’effets. Comme pour la plupart des morceaux, la chanson a un esprit irrésistiblement élevé, parfaitement capturé dans un étrange mélange de voix et de musique, traitées et non traitées. La voix de Stevie, sans distorsion, reste l’un des grands plaisirs – profondément expressive et chaleureuse, toujours riche – et comme il fait lui-même une grande partie de l’accompagnement en double et triple pistes, la variété et l’esprit de son style de chant n’ont jamais été aussi évidents.

« Je plaisantais avec Stevie sur le fait qu’il était partial. Il jouait tout le temps sur les touches noires et pas sur les blanches. [rires] Si vous écoutez ses morceaux, la plupart sont en mi bémol mineur, ré bémol ou sol bémol. Ce sont toutes des touches noires. C’est due à sa façon de jouer peu orthodoxe. Il a cette façon de tapoter sur les touches pour que ça sonne funky. » (Malcolm Cecil)

« Superwoman » est en deux parties, toutes deux calmes et réfléchies mais bien distinctes. La première semble être un rejet de la femme dominante (ou peut-être juste trop indépendante) et en partie une tentative de parvenir à un accord avec elle (la partie harmonisante : « Very well, I believe I know you very well »). Dans la deuxième partie, Stevie traite de l’inconstance : « Où étais-tu quand j’ai eu besoin de toi l’hiver dernier, mon amour ?

Stevie Wonder Music of my Mind

« I Love Every Little Thing About You » a le même genre de vitalité. Chanson joyeuse construite autour d’un autre refrain répété, « Every Little Thing » utilise Stevie comme « instrument » aussi bien que comme voix.

« I Love Every Little Thing About You » est une chanson pleine de joie de vivre. Stevie a 21 ans. Il vient de se libérer des contraintes de la Motown. Il ne fait que la musique qu’il aime. Je pense que c’est sa façon de le dire. C’est une chanson symbolique. Il parle d’une fille mais en fait il dit simplement qu’il aime vraiment ce qui se passe dans sa vie à cette époque. » (Malcolm Cecil)

« Happier Than the Morning Sun » s’éloigne du style funky si caractéristique de Stevie. Son subtile phrasé aux clavier le fait sonner comme une guitare picking.

« Keep On Running » commence par une sorte d’enchevêtrement inquiétant de brouhahas électroniques, de piano, de cymbales nerveuses. Après deux mesures et quelques rythmes d’anticipation, le rythme s’accélère. Plus tard, alors que la musique devient plus chaude et Stevie plus menaçant, un chœur féminin entre en scène et tous se retrouvent répétant sans relâche « Keep on running, running from my love ». On entend la voix de Stevie moitié parlées, moitié chantées, à l’image d’une assemblée d’église baptiste chantant, criant, pendant que le pasteur prêche dans un esprit gospel.

Stevie Wonder Music of my Mind

Le dernier morceau, « Evil », écrit au plus fort de la guerre du Vietnam est une réponse au Memorial Day.

Yvonne Wright, Vonnie, était une de ses petites amies. Elle a écrit les paroles de deux des chansons de cet album, « Girl Blue » et « Evil ». C’étaient des paroles graves. Yvonne s’asseyait à côté de lui au piano et lui chuchotait des mots à l’oreille pendant qu’il chantait. Elle lui chuchotait une ligne pendant qu’il jouait et chantait, alors qu’il enregistrait les paroles de base. Il était très proche d’elle et c’était le cas avec « Evil » et « Girl Blue ». (Malcolm Cecil)

Rétrospectivement quelque peu éclipsé par ses deux albums suivants, Talking Book et Innervisions, Music of My Mind reste une écoute fascinante. Avec Music of My Mind, Little Stevie Wonder, l’harmoniciste aveugle qui chantait à douze ans « Fingertips » au « Ed Sullivan Show », devient un musicien adulte, responsable et indépendant.

Sources : www.discogs.com – www.rollingstone.com – www.okayplayer.com

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CREDITS :

Enregistré en mai 1971 aux Media Sound, Electric Lady NY et Crystal Industries, L.A.- Motown Records

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