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Certains musiciens incarnent un genre à eux-seuls. Pour le swamp rock, c’est Tony Joe White. En mélangeant subtilement la country, le blues, le rock’n’roll, la soul et le rhythm’n’blues, ce kid de Louisiane a traduit en musique son bayou natal. Chaleur accablante, humidité quasi-sexuelle, poésie boueuse, cuivres bouillants et guitares rugueuses, rien ne manque à l’appel de ce premier LP sorti en 1969.

Dernier des sept enfants d’une famille de métayers, Tony Joe White grandit dans une plantation de coton, près d’Oak Grove où les méandres du Mississippi forment des bayous. Ces marais (« swamp ») ont donné son nom au swamp rock, un genre aussi noir que blanc, irrigué par le rhythm’n’blues, la country, la musique cadienne et le vaudou, plus entraînant et moins codifié que le delta blues.

J’ai grandi entouré de serpents et d’alligators, racontait Tony Joe White, pour couper court à toute accusation de pittoresque. Un jour, avec un ami, je ramenais dans mon camion une nouvelle basse à la maison. On avait bu un peu trop de whisky. Lorsqu’on a sauté du camion pour décharger, des alligators sont arrivés. Ils ont emporté l’instrument dans les flots. 

Tony Joe White

Tony Joe White Black and White

Inspiré par les bluesmen du delta du Mississippi, le chanteur à la voix grave et profonde fait ses débuts dans les clubs du coin, poussant jusqu’aux boites du Texas.

J’avais quitté la Louisiane pour Corpus Christi au Texas. Le père de mon batteur possédait un magasin d’instruments de musique et nous avions joué dans son club pendant un an. Un jour il m’a conseillé d’essayer une des premières pédales wah-wah. J’ai testé la Boomerang dans le magasin, et les gens se sont mis à danser. Dès lors je ne m’en suis plus séparé, je l’ai rebaptisée whomper-stomper. C’est devenu un peu ma marque de fabrique. Je l’utilise toujours en studio et sur scène, et j’utilise aussi toujours ma vieille Sub-Reverb, ma Stratocaster de 58, ainsi qu’une une fuzz-box Tone-Bender achetée à Londres en 1969. Elle sonne plus swamp que fuzz. Mon son vient en bonne partie de ce matériel préhistorique !

Tony Joe White
Tony Joe White Black and White

Après avoir entendu ‘Ode To Billy Joe’ de Bobbie Gentry, il comprend qu’il faut cesser d’imiter Elvis ou Lightnin’ Hopkins pour écrire ses propres chansons.

A ce moment là j’étais au Texas, je jouais dans des clubs et je faisais essentiellement des reprises. J’ai entendu cette chanson, ‘Ode To Billy Joe’, une histoire qui semblait tirée de la réalité. Ça m’a bouleversé. Je m’identifiais vraiment à ce Billy Joe. A partir de ce moment j’ai décidé d’écrire mes propres textes, d’être vrai, sincère, de parler des choses que je connaissais.

Tony Joe White

Il signe son premier succès avec Soul Francisco en 1968 et enregistre dans la foulée son premier album Black and White, un subtil mélange de country-rock et de traditions louisianaises qui donneront naissance au « swamp rock ».

Tony Joe White Black and White
Tony Joe White Black and White

Pionnier du style sur cette production de Billy Swan, sa voix de baryton du bayou séduit mais pas autant que ses talents de songwriter.

Sur les treize titres de l’album, les six premiers (sûrement les plus percutants) sont des créations originales. Willie and Laura Mae Jones, Soul Francisco, Aspen Colorado, Whompt Out on You, Don’t Steal My Love et Polk Salad Annie. Six titres à l’image du bayou, poésie boueuse, guitares poisseuses et une voix sensible aux vibrations soul et aux ballades bluegrass.

Mais s’il est doué pour la composition, il sait aussi choisir ses interprétations : James Moore, Bobby Russell, Burt Bacharach pour The Look of Love ou encore Jimmy Webb et sa reprise de Wichita Lineman.

Tony Joe White Black and White

Les sonorités de ce disque surprennent encore aujourd’hui par ses arrangements novateurs pour l’époque, une batterie très en avant, la whomper-stomper, les violons, les cuivres…

C’était vraiment nouveau pour l’époque, et ça vient notamment des arrangements de Billy Swan, un ami, un compositeur qui n’avait pas du tout l’intention de devenir mon producteur ou quoi que ce soit. C’était juste un pote. Il est venu s’occuper des cuivres sur ‘Polk Salad Annie’. Personnellement je voulais plutôt la faire dans une formule batterie/guitare. Il m’a fallu du temps pour que je me fasse à l’idée de démarrer la chanson avec des cuivres, mais ça a finit par fonctionner. Au début je voulais virer les cuivres, ça aurait été une grossière erreur.

Tony Joe White

En 1969, un certain Elvis Presley reprendra son Polk Salad Annie, boostant ainsi sa popularité. Le king intègre même la chanson au répertoire de ses concerts (elle figure sur le live On Stage de 1970).

En six ans, sur Monument Records puis Warner Bros., il gravera six albums déments : Black and White (1968), …Continued (1969), Tony Joe (1970), Tony Joe White (1971), The Train I’m On (1972) et Homemade Ice Cream (1973).

Tony Joe White Black and White
Tony Joe White Black and White

Pour l’anecdote, fin des années 1980, Tina Turner enregistre Steamy Windows, qui deviendra l’un des tubes de son album Foreign Affair. Pour reproduire le blues poisseux qui l’a séduite sur la démo, la chanteuse demande à son auteur-compositeur, Tony Joe White – qu’elle ne connaît pas –, de la rejoindre en studio. Quand il débarque avec sa guitare et son harmonica, elle éclate d’un rire tonitruant, puis le prend dans ses bras et l’embrasse : « Je m’excuse mais, à cause de ta chanson Polk Salad Annie, j’ai toujours cru que tu étais noir ! »

L’anecdote illustre combien Tony Joe White, disparu en 2018, cultiva la discrétion tout en incarnant la musique populaire du Sud profond. Comme Dr. John ou J.J. Cale, Tony Joe White fut un alligator solitaire à la peau dure. Le dépositaire d’une attitude et d’un style…

Sources : www.bluesagain.com – www.radiofrance.fr – www.soulbag.fr – www.qobuz.fr – www.telerama.fr – www.humanite.fr – www.lemonde.fr – www.bluesagain.com – www.discogs.com

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CREDITS :

Enregistré en 1968 au RCA Victor Studios, Nashville – USA – Monument Record

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