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Tous les musiciens défricheurs de nouveaux territoires, Armstrong, Parker, Coltrane, présentent un point commun: celui d’avoir écouté, disséqué, absorbé ce qui précédait, avant de se risquer à expérimenter. Leon Thomas fait partie de ce club très fermé des Magellan du jazz. Sur « Spirits Known And Unknown » sorti en 1969, Thomas montre toute l’étendue de son chant caractérisé par un mélange de voix gospel grave et intense et d’effets proches du yodel tyrolien, l’inventeur d’un scat particulier entre chant tyrolien et psalmodie amérindienne.

Né à East Saint Louis (Illinois) en 1937, Amos Jr. Leon Thomas fait ses débuts dans l’orchestre du saxophoniste Jimmy Forrest avant de s’installer à New York fin des années 50. Il participe à des revues de music-hall, remplace le chanteur Joe Williams dans l’orchestre de Count Basie puis rejoint Pharoah Sanders de 1969 à 1972.

Leon Thomas Spirits Known And Unknown

Sa technique de yodel si singulière, il la doit à un accident. En 1969, Thomas se lie d’amitié avec le saxophoniste Pharoah Sanders. Alors que, féru de spiritualité, il traverse l’époque la plus créative de son existence, Leon Thomas s’adonne à une longue séance de yoga prenant la posture sur la tête. Mais voilà, il est contrarié. Un ami lui doit de l’argent ; il guette son téléphone fébrilement dans l’attente d’un appel de ce dernier. Trop nerveux, il fait un faux mouvement. Ses dents se plantent dans sa lèvre inférieure, le faisant saigner abondamment et lui laissant huit trous profonds.

Quelques instants plus tard, Pharoah Sanders vient le chercher. Ils doivent se produire pour un groupe d’activistes antipoliciers (déjà !). « Tu ne peux pas me lâcher », lui dit Sanders. Thomas l’accompagne malgré tout. Quand il monte sur scène, incapable de chanter normalement, il se met à yodeler, inventant sa propre technique qu’il emploiera la même année dans « The Creator Has A Masterplan » sur l’album Karma.

Leon Thomas Spirits Known And Unknown
Leon Thomas Spirits Known And Unknown

Thomas baptise cette technique le « soularfone », un néologisme formé sur soul, l’« âme ». Parce qu’on ne peut chanter ainsi que si la « voix est sans ego », qu’on accepte d’être traversé par le chant des morts.

C’est au sein des groupes du saxophoniste, synthèse entre le free jazz et les musiques du monde (Afrique et Orient), que Leon Thomas va développer son chant caractérisé par un mélange de voix gospel grave et intense et d’effets proches du yodel tyrolien.

Il faudra qu’il attende 1969 pour que Bob Thiele lui fasse enregistrer ce premier disque en leader, empreint de l’univers du saxophoniste Pharoah Sanders, avec qui il collabore jusqu’en 1972.

L’album s’ouvre d’ailleurs par une version au format chanson du fameux The Creator Has a Master Plan (comparé à l’original de plus de trente minutes issu de “Karma ») et donne l’occasion à Sanders d’accompagner Thomas sur trois titres dont le puissant Malcolm’s Gone.

Leon Thomas Spirits Known And Unknown
Leon Thomas Spirits Known And Unknown

Je jouais à Brooklyn avec Randy Weston quand Archie Shepp et Pharoah Sanders sont passés. Ils ont commencé à nous rendre visite régulièrement et ont souvent jammé avec nous. Pharoah avait cette chanson intitulée `Pisces Moon’ qu’il jouait tous les soirs comme thème à New York et il m’a demandé si je pouvais mettre des paroles dessus. Je suis arrivé avec « The Creator Has a Master Plan ».

Leon Thomas

Comme on peut l’entendre sur Echoes, Leon Thomas est l’inventeur d’un scat particulier qui lui permet de passer d’une voix de poitrine à une voix de tête, entre chant tyrolien et psalmodie amérindienne.

De l’album se dégage une sensation de quiétude et de fraîcheur. Les flûtes (de Pan ou traversière) s’enroulent comme des serpents autour des cymbales de Roy Haynes et de la basse de Richard Davis, tandis que Lonnie Liston Smith obtient de son piano le rendu aquatique qu’il affectionne tant – son solo sur “Let the Rain Fall on Me” est un modèle du genre.

Le sax ténor de Pharaoh Sanders, ici crédité sous le nom de Little Rock, et l’alto du trop méconnu James Spaulding (également flûtiste) surgissent çà et là comme des bêtes affamées de mélodies.

Bongos, bâtons de pluie et clochettes complètent la gamme de cet orchestre fascinant. Si Leon Thomas brille sur tous les titres, celui où sa virtuosité vocale est la plus évidente reste “One”. Il assure à la fois des couplets de forme classique et de vrais soli, impeccables transpositions des phrases cuivrées de ses confrères, en passant du scat au yodel, du grognement au cri primitif.

Leon Thomas Spirits Known And Unknown
Leon Thomas Spirits Known And Unknown

Sur la très virulente “Dam Nam (Ain’t Going To Vietnam)”, il s’exerce à un pur phrasé blues (ponctué de hurlements), comme un souvenir de ses collaborations passées avec Count Basie, Art Blakey ou John Coltrane. Autre texte politique, l’hommage à Malcolm X “Malcolm’s Gone” se fait sur un mode élégiaque et beaucoup plus free que le reste du disque.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des attraits de l’album, Leon exhume l’un des sommets du hard-bop, le “Song For My Father” d’Horace Silver, pour en faire une véritable chanson. Son yodel se substitue au mythique solo de saxophone de l’original, signé Joe Henderson.

Sur ce premier album solo, sa quête spirituelle et son souci d’universel sont à l’œuvre : puissante et chaleureuse, sa voix puise sa force dans le blues, parcourt la Great Black Music dans toute sa diversité et repousse les frontières du jazz.

Il sera ensuite l’un des membres du groupe du guitariste Carlos Santana. A partir du milieu des 70’s, Leon Thomas va mener une double carrière comme leader ou en rejoignant diverses formations, mais sans retrouver la popularité de ses deux participations prestigieuses.

Sources : https://fromthevaults-boppinbob.blogspot.com – www.paperblog.fr – www.philomag.com – www.telerama.fr – www.liberation.fr – www.lemonde.fr

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CREDITS :

Enregistré les 21 et 22 octobre 1969 à New York – Flying Dutchman

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